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Gentrificatrice, moi? Non merci!

Judith Lussier

Soyons honnête, je fais partie du problème de l’embourgeoisement. Je suis une exilée du Plateau-Mont-Royal ayant trouvé refuge dans HoMa. Et avec la crise du logement qui sévit, je me sens mal. Heureusement, plusieurs discours déculpabilisants s’offrent à moi pour que je puisse continuer à me sentir bien dans ma peau.

Une chercheuse de l’université Princeton, Katie Donnelly, a fait paraître une étude portant sur les stratégies narratives qu’adoptent les nouveaux résidants de quartiers populaires pour minimiser leur responsabilité dans les conséquences négatives de la gentrification. Essentiellement, son enquête porte sur les mensonges qu’on se raconte pour se «désengager moralement», c’est-à-dire pour poursuivre son chemin malgré le sentiment de culpabilité. Pour ce faire, elle a analysé le dialogue intérieur de résidants du quartier Bed-Stuy, à Brooklyn – ce qu’on appelle, dans les termes gentrificateurs, le prochain Williamsburg.

Donnelly expose trois types de stratégies qu’on emploie pour continuer à se percevoir comme de «bonnes personnes», malgré le rapport social inégalitaire d’appropriation de l’espace qui nous permet de tasser les plus pauvres pour vivre plus confortablement : recadrer l’embourgeoisement en termes positifs, séparer les bons bourgeois des mauvais en s’identifiant bien sûr à la première catégorie, et transférer la responsabilité des conséquences négatives à d’autres acteurs, dont les gouvernements et les promoteurs immobiliers.

Pourquoi attendrait-on l’arrivée des riches pour investir des deniers publics dans les quartiers défavorisés?

En 2016, l’Institut économique de Montréal publiait sans surprise un papier intitulé «Les bénéfices considérables de la gentrification», s’inscrivant dans la première stratégie décrite par Donnelly. L’embourgeoisement y est présenté comme un processus normal de revitalisation qui peut même profiter aux pauvres, puisque les quartiers touchés feront l’objet d’investissements publics. Cela soulève quelques questions. Pourquoi attendrait-on l’arrivée des riches pour investir des deniers publics dans les quartiers défavorisés? Mais aussi : est-ce vraiment le cas? En mars dernier, des parents de Pointe-Saint-Charles et de Saint-Henri se mobilisaient pour que leur école de quartier garde ses lunchs à 1 $ réservés aux enfants d’écoles défavorisées. En raison de l’embourgeoisement, ces écoles n’y étaient plus éligibles, et les enfants défavorisés n’y avaient donc plus droit.

Parfois, on met le phénomène de l’embourgeoisement sur le dos des artistes, les premiers gentrificateurs, puisque ce sont eux qui ouvrent la voie aux suiveux de la classe moyenne qui n’auraient jamais osé déménager dans le Plateau-Mont-Royal des années 1980 ou dans Parc-Extension avant l’arrivée du nouveau campus de l’Université de Montréal. Ça, c’est la stratégie numéro deux : identifier des coupables. On a aussi critiqué les résidants des Shop Angus qui s’opposaient à un projet comprenant des logements abordables qui risquaient de faire diminuer la valeur des propriétés du quartier. Mauvais gentrificateurs!

Ces discours sont réconfortants. Les identifier ne règlera pas la crise du logement, pas plus qu’ils ne nous aideront à réconcilier la dissonance cognitive dans laquelle nous nous trouvons, dans notre condo de RoPePa ou de Verdun-sur-Mer (avouez que ça sonne bien). Mais ce n’est définitivement pas en ignorant notre part de responsabilité dans le problème ou en minimisant sa portée que nous pourrons améliorer les choses.

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