Pour en finir avec le blackface
Après quelques années de réflexion, j’en suis venue à la conclusion que les membres de la colonie artistique québécoise devraient éviter de se peindre le visage pour personnifier des personnalités publiques noires. Quelle que soit la situation.
Mon opinion sur le blackface n’a pas grande importance, mais peut-être que le cheminement par lequel je suis passée et les résistances que j’ai rencontrées dans ma compréhension du phénomène vous intéresseront. Ou pas. Mais rendu-là, j’aurai fait mon travail.
La question du blackface, le fait pour un comédien d’appliquer du maquillage foncé pour interpréter une personne noire, soulève les passions, particulièrement au Québec. Certains médias anglophones n’hésitent pas à classer ce dossier dans l’imposante pile de pièces à conviction prouvant le racisme légendaire des Québécois. Avec raison, plusieurs Québécois bien intentionnés se braquent devant ces accusations.
Il faut féliciter l’organisme Diversité Artistique Montréal (DAM) d’avoir soulevé la question en réaction à la personnification du joueur de hockey PK Subban par un comédien blanc maquillé dans la revue de l’année du Rideau Vert sans tomber dans les accusations de mauvaise foi. Dans sa lettre ouverte, DAM fait la différence entre le caractère raciste du blackface et le racisme inhérent que l’on voudrait attribuer à ceux qui posent cette action. Bref, si le blackface est raciste, le DAM a la délicatesse de ne pas traiter de racistes ceux qui s’y sont malencontreusement frottés. Ça a l’intérêt de calmer le jeu sur un terrain qui en a bien besoin.
Car pour plusieurs Québécois francophones, il ne va pas de soi que le fait de se peindre le visage en noir soit raciste. Les artisans du gala des Olivier qui ont eu l’idée de déguiser Mario Jean en Boucar Diouf avaient plutôt l’impression d’intégrer la diversité dans leur numéro d’ouverture.
S’il y a une chose que révèle le blackface dans nos émissions d’imitations et autres revues de fin d’années, c’est que le Québec a un sérieux problème de représentation de la diversité culturelle dans l’espace public. S’il n’y a pas assez de personnalités publiques noires ici pour justifier l’embauche de comédiens noirs pour les personnifier, c’est que nous avons un problème. Mais il faudrait faire preuve de beaucoup de mauvaise foi pour attribuer ce racisme systémique à Denise Filiatrault. La metteuse en scène s’est sentie obligée de rappeler – avec sa maladresse habituelle – qu’elle avait donné leur première chance à plusieurs comédiens de couleur tout au long de sa carrière.
Imaginez un instant la frustration que vous pouvez ressentir quand vous vous faites taper sur les doigts alors que vous croyez faire quelque chose de bien. Bien sûr, on devrait tous être capable de passer par dessus cette frustration, reconnaître ses erreurs, s’excuser, et ne plus recommencer. Mais la réalité se butte à plus de résistances, des résistances qui ne tiennent pas tant de l’obstination que de l’incompréhension. Je ne pense pas me tromper en affirmant que pour plusieurs artistes francophones, ces accusations de blackface sortent de nulle part et apparaissent comme une façon d’imposer des codes culturels américains.
Car si le meilleur argument en défaveur du blackface est qu’il n’appartient pas à une majorité de décider de ce qui est offensant pour une minorité opprimée, l’argument est aussi valable pour la minorité Québécoise. Le contexte culturel québécois est unique en son genre et plusieurs Québécois s’enorgueillissent de voir leur culture échapper aux diktats américains ou se perdre dans le paysage culturel anglophone nord-américain. J’irais jusqu’à dire que la culture revêt au Québec un caractère identitaire fort, même s’il ne faudrait quand même pas virer fou avec ça. Dire ça, ce n’est pas dire que l’esclavage et le blackface n’ont jamais existé au Québec. Mais les minstrels shows, si ça se trouve, ne font pas partie des éléments que la culture québécoise francophone a retenus lorsqu’elle s’est prise en mains.
Ceci étant dit, le milieu culturel québécois n’évolue pas en vase clos non plus. Bien qu’il me soit personnellement difficile, en tant que femme blanche, de comprendre comment le fait de se peindre le visage en noir pour imiter une personnalité publique, le plus souvent avec l’intention de lui rendre hommage, puisse heurter certaines personnes, force m’est de constater que cela heurte plusieurs personnes. Le blackface humilie, rappelle les inégalités persistantes, ravive des blessures, et ce, peu importe les intentions qui le sous-tendent. Mais surtout, la culture québécoise n’a PAS BESOIN de recourir au blackface pour exprimer sa singularité. Je pense que nous pouvons faire preuve de plus de créativité que ça.