Comment prendre soin du sol et de la terre pour favoriser le verdissement en ville
Véritable quête depuis quelques années, le verdissement des zones urbaines progresse dans les villes comme Montréal. Pourtant essentiels à sa réussite, le sol et la terre sont souvent oubliés lors de ces projets, comme le souligne un article d’Alison Munson, de l’Université Laval pour le média La Conversation.
Un texte de Alison Munson, de l’Université Laval
ANALYSE – En urbanisme, on entend souvent parler de la trame verte et bleue pour parler du réseau de végétation et de forêts urbaines, ainsi que des plans d’eau présents en ville. Mais peu de gens connaissent et se préoccupent de la « trame brune », celle du sol et de la terre.
Pourtant, les petits (et grands) projets de verdissement dépendent directement de cette trame oubliée et négligée. J’enseigne l’écologie forestière et je suis co-titulaire de la Chaire sur l’Arbre Urbain et son Milieu (CRAUM) à l’Université Laval.
J’étudie le lien sol-plante en milieu urbain et je suis souvent étonnée de voir que les projets d’infrastructures vertes (comme l’aménagement d’une piste cyclable), de plantation massive d’arbres, ou d’aménagement d’îlots verts ne prennent pas en compte la matrice vivante souterraine (le sol !) qui doit supporter tous ces efforts importants en ville. Pourtant, il y a plusieurs bonnes raisons de la considérer.
Un impact sur la végétation
Nos aménagements ne durent pas, ils se dégradent avec les années et parfois très rapidement. Selon Élise Beauregard, une aménagiste paysager qui étudie les sols et qui compte plus de vingt-cinq ans d’expérience en architecture de paysage à Montréal, « nous ne traitons pas le sol comme un élément « vivant » mais simplement une matrice neutre, comme le béton. Mais avec toutes ces ambitions de verdissement, il faut que ça change ! »
Si l’on veut que ces projets comblent les attentes des citoyens, il faut travailler avec ce lien entre le sol et les plantes, car le bon fonctionnement des cycles de nutriments et de carbone dans l’écosystème, qui sont à la base de la qualité et la fertilité du sol, est primordial.
Une étude menée aux États-Unis a démontré que 80 % des cas de dépérissement de la végétation et des arbres en villes étaient reliés aux problèmes de gestion de sol.
Nous voyons prendre forme des projets de plantation de centaines de milliers d’arbres dans des villes comme Montréal, ou de milliards d’arbres à l’échelle du pays. Où va-t-on planter ces arbres, et dans quel substrat ? Est-ce que ce substrat va les supporter pendant les 50 ou 100 prochaines années ? Si la réponse est non, tous ces efforts ne permettront pas de séquestrer le carbone calculé pour contrer les gaz à effets de serre (GES).
En ville, nos canopées sont formées d’arbres de tous âges, mais ce sont les vieux arbres qui nous fournissent le plus de bénéfices. Ceux-ci ne seront pas visibles avant 30 ou 40 ans dans les nouvelles plantations.
Planifier l’expansion racinaire
Dans la planification des grands travaux urbains ou des plantations après la réfection de boulevards, il faut planifier l’expansion du système racinaire et de ses besoins en nutriments et en eau pendant toute la vie des arbres plantés. Les ingénieurs qui font les plans et les devis n’ont souvent pas ces connaissances clés. Ils ne connaissent ni la qualité des substrats ni les besoins en eau et nutriments des différentes espèces d’arbres.
L’infrastructure des arbres est vivante et les forestiers et les chercheurs doivent travailler conjointement avec les ingénieurs civils pour s’assurer que les besoins des arbres en matière de volume et de qualité du sol soient comblés.
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Un autre élément de verdissement qui dépend directement de la qualité des sols urbains est la biodiversité. Actuellement, les vertus d’augmenter la biodiversité en ville font partie des réflexions de plusieurs municipalités, mais encore une fois, peu de mentions sont faites de l’importance du sol.
Les sols compactés et peu fertiles qu’on trouve souvent en ville ne peuvent pas supporter une grande richesse d’espèces pérennes. Les perturbations fréquentes des sols urbains (travaux, circulation humaine, accumulation de sels) résultent en une dégradation des processus importants pour le renouvellement de leur fertilité (cyclage de carbone et azote, par exemple, par l’ajout en continue de matière organique), donc entraînant des superficies végétales moins biodiversifiées.
Une ressource non renouvelable
Le manque de retour de matière organique dans les aménagements de gazon, de fleurs annuelles et de vivaces provoque une diminution du potentiel des services des écosystèmes : la rétention d’eau, le stockage de carbone et la fertilité qui appuient une biodiversité plus élevée. Aussi l’importation massive du sol fertile ou la tourbe pour les nouveaux aménagements n’est simplement pas durable ; le sol n’étant pas une ressource renouvelable à court terme.
Toutefois, nous pouvons encore apprendre ! Apprendre à implanter et à gérer nos aménagements paysagers différemment, afin d’utiliser la matière organique en place pour soutenir une diversité de plantes. Apprendre à construire des îlots verts qui sont pérennes et autosuffisants. Bâtir des communautés d’espèces qui « travaillent » bien ensemble, et qui favorisent même la nutrition et la survie des nouvelles plantations d’arbres.
C’est la vision de notre communauté de chercheurs et d’urbanistes. Nous travaillons notamment avec la Ville de Montréal et la Ville de Québec pour proposer des mélanges de vivaces indigènes qui vont contribuer à augmenter la viabilité des aménagements dans les conditions biophysiques difficiles des milieux bétonnés. Cela augmentera en même temps la rétention de carbone dans le sol.
Les trames brunes des villes peuvent produire énormément d’avantages pour les résidents, mais il faut d’abord « voir » le sol comme une entité vivante pour ensuite travailler avec toutes ses qualités afin d’améliorer la vie en sol et par conséquent, en ville.
Alison Munson, Écologie forestière, écologie urbaine, sols urbains, Université Laval
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