Acceptabilité sociale: il faut repenser la gouvernance des grands projets publics
Les grands projets structurants comme le REM de l’Est à Montréal ou le troisième lien, à Québec, ont des impacts importants sur la société actuelle et les générations futures. Ceux-ci ne sont pas à prendre à la légère, selon la professeure en gestion de projets Maude Brunet.
Par Maude Brunet, HEC Montréal
ANALYSE – Avec les débats récents sur le projet du troisième lien, à Québec, et la reprise, par le gouvernement du Québec, du REM de l’Est, qui était jusqu’alors piloté par la Caisse de dépôt et placement du Québec, je souhaite apporter un éclairage scientifique sur les meilleures pratiques entourant la gouvernance de ces grands projets structurants.
Je collabore avec les acteurs gouvernementaux impliqués en gestion de projet depuis 15 ans, et je peux témoigner de leur expertise et de leur dévotion pour mener à bien ces projets. Cependant, certaines considérations en matière de gouvernance se situent au niveau institutionnel. D’où l’importance que les décideurs, ministres, députés et hauts fonctionnaires soient bien sensibilisés à ces enjeux.
De l’importance d’avoir un cadre de gouvernance
Au Québec, la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique encadre les projets majeurs (de plus de 50 millions de dollars). Cette directive, en place depuis 2014, est présentement en révision au Secrétariat du Conseil du trésor. Le souhait du gouvernement est de réduire les délais : la production des dossiers d’opportunité (qui incluent une évaluation de différentes options possibles et en recommandent une) et des dossiers d’affaires (qui détaillent la solution retenue avec les plans et devis en vue des appels d’offres pour la réalisation) peut prendre plusieurs années. Et c’est sans compter les longs délais d’attente pour approbation au Conseil des ministres.
Avec le projet du REM, le gouvernement a testé un autre modèle (un partenariat ‘public-public’), et a adopté une loi spéciale pour encadrer la gouvernance de ce projet en mandatant la Caisse de dépôt et placement du Québec, lui permettant ainsi la réalisation d’infrastructures.
Bien que la Caisse ait en effet pu réduire considérablement les délais avec le projet du REM, ce modèle de gouvernance reste contestable. Le gouvernement dispose de trop peu de pouvoirs, les ententes sont opaques, manquent de transparence et de concertation. Bien qu’il y ait eu un processus de consultation publique, le projet du REM diffère des autres grands projets, en raison de sa gouvernance inédite.
La reprise par le gouvernement du projet du REM de l’Est est en ce sens une bonne nouvelle. Ce projet a généré dans les derniers mois de nombreuses controverses en lien avec son acceptabilité sociale, son arrimage avec les systèmes de transport existants, ses structures imposantes et le besoin d’inclusion de la Ville de Montréal à la table des décisions, ce qui est désormais chose faite.
Cette décision laisse cependant songeur lorsque l’on tente de faire des parallèles avec le projet du troisième lien Lévis-Québec, dont le promoteur est le gouvernement du Québec et pour lequel tout discours en lien avec l’acceptabilité sociale est absent.
De l’importance de prendre en compte l’acceptabilité sociale
Nous avons mis en place au Québec des dispositifs pour évaluer les projets sous les différentes facettes du développement durable, soit en lien avec l’économie, le social et l’environnement.
Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) est mandaté à la pièce et n’a pas de portée décisionnelle. Cela devient fondamentalement problématique et inacceptable lorsque des politiciens disent d’emblée qu’aucune étude environnementale ne pourrait empêcher la construction d’un projet. C’est en effet ce qu’a affirmé en novembre le ministre québécois de l’Environnement, Benoît Charette, en parlant du troisième lien.
Ces grands projets structurants ont pourtant des impacts importants sur la société actuelle et les générations futures. Aussi, une réelle gouvernance participative et inclusive devrait être adoptée pour appréhender ces projets complexes sous différentes facettes, que ce soit l’environnement, le transport collectif, l’acceptabilité sociale, le développement durable ou l’aménagement du territoire.
Le BAPE est une institution essentielle, mais insuffisante, puisqu’elle est soumise à la bonne volonté des promoteurs des projets pour fournir la documentation pertinente. Par ailleurs, les évaluations du BAPE arrivent tard dans le processus, alors que les grandes lignes des projets ont déjà été approuvées.
Le principe de concertation devrait aider à forger les grandes lignes d’un projet en amont, et non en mode réactif comme on l’a vu récemment dans le cadre de la refonte du projet du troisième lien Lévis-Québec. La version antérieure, estimée à plus de 10 milliards de dollars (sans compter les plus que probables dépassements de coûts), impliquait notamment de construire le plus gros tunnelier du monde pour réaliser ce projet, ce que plusieurs experts ont décrié comme une aberration. Les récentes modifications apportées à ce projet ne permettent pas de pallier aux lacunes principales ni de le rendre plus acceptable socialement.
S’inspirer des meilleurs
En gestion de projet, la phase d’avant-projet en est une des plus incertaines. On a peu d’information, il y a beaucoup de risques et selon les meilleures pratiques, il faut envisager l’ensemble des options avant de sélectionner une solution. On doit documenter la situation actuelle (la problématique), et s’appuyer sur des données fiables et validées scientifiquement. Or, dans bien des cas, une solution à un problème sous-documenté nous est imposée.
Nous devrions nous inspirer de modèles de gouvernance comme ceux qui ont cours en Scandinavie, dont nous avons déjà beaucoup appris pour bâtir notre Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique. Par exemple, en Norvège, en Suède et au Danemark, les analyses en lien avec les projets sont non seulement publiques et diffusées sur le web, mais également les rapports d’experts indépendants afin de contre-vérifier les dires et les faits.
Par ailleurs, dans ces trois pays, ce sont les parlements qui prennent les décisions d’investissements majeurs, plutôt que les Conseils des ministres, souvent de manière hermétique. Ces façons de faire prônent des décisions basées sur les faits (evidence-based) et la transparence, plutôt que d’appuyer des projets partisans et peu, voire non fondés.
Je crois fermement aux principes de gestion de projet et aux innovations pour optimiser les fonds publics, comme le PMI-Montréal, le Project Management Institute de Montréal l’a récemment suggéré. Néanmoins, il importe que la gouvernance en amont soit cohérente, basée sur les faits, sur des analyses rigoureuses et partagées et ce, afin que les débats publics se fassent de façon proactive. Il faut guider les décideurs et politiciens à prendre les décisions pour le bien commun, celui des générations actuelles et futures.
Maude Brunet, professeure en gestion de projets, HEC Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.