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L’islamophobie perdure, cinq ans après la tuerie à la mosquée de Québec

Samira Laouni Photo: Josie Desmarais/Métro

Si la tuerie à la mosquée de Québec a pu mener à une certaine prise de conscience chez les Québécois, elle n’a pas éradiqué l’islamophobie, affirment certains musulmans qui mettent en garde contre une polarisation grandissante.

Cinq ans se sont écoulés depuis le soir du 29 janvier 2017, date à laquelle Alexandre Bissonnette a ouvert le feu sur les fidèles qui priaient au Centre culturel islamique de Québec, tuant six d’entre eux et en blessant 19 autres. 

La présidente et cofondatrice de la Semaine de découverte des musulmans, Samira Laouni, rappelle que cette tuerie de masse est la deuxième plus grande au Québec après celle de Polytechnique. 

À la Polytechnique, des femmes ont été tuées pour le simple fait qu’elles étaient des femmes. Les hommes de la mosquée ont été ciblés par le simple fait qu’ils étaient des musulmans dans une mosquée.

Samira Laouni

Augmentation des crimes haineux

L’agente à la défense des intérêts du Québec au Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), Lina El Bakir, mentionne que l’islamophobie est toujours présente au Québec. 

Les données les plus récentes de Statistique Canada font état d’une augmentation de 151% des crimes haineux contre les musulmans déclarés à la police en 2017, par rapport à l’année précédente. Cette hausse était attribuable à la croissance du nombre d’affaires enregistrées en Ontario (+124) et au Québec (+76).

Selon Lina El Bakir, cette tendance augmente chaque année.

Il y a une intensification contre les femmes musulmanes. On parle d’insultes terribles et d’attaques dans les rues. Il y a une augmentation marquée du vandalisme dans les mosquées. On a vu il y a quelques semaines des carcasses laissées à l’entrée de mosquées au Québec.

Lina El Bakir

Pour la porte-parole du CNMC, il est clair que les effets de la tuerie à la mosquée de Québec sont encore très présents. Elle souligne qu’au moins deux autres tueurs se sont inspirés d’Alexandre Bissonnette. «Ça, c’est ceux qu’on sait: un en Nouvelle-Zélande, à Christchurch, et un autre à London, en Ontario», précise-t-elle.

La haine ne connaît pas de frontières.

Lina El Bakir

Une prise de conscience qui rend un peu plus optimiste

De son côté, le professeur associé au département de sociologie de l’UQAM Rachad Antonius est plus optimiste. 

Depuis cinq ans, le sociologue a l’impression qu’il y a globalement moins d’hostilité envers les personnes musulmanes au Québec. «Il y a de l’islamophobie, mais je crois que les attitudes ont changé», dit-il.

Selon lui, les médias sont d’ailleurs plus sensibles au danger d’un discours stigmatisant envers les musulmans.

Les politiciens, les gens ordinaires et les chroniqueurs ont pris conscience de l’importance du problème et ont fait des gestes qui ont été très marquants.

Rachad Antonius

Rachad Antonius rappelle que toute la classe politique était présente lors de la cérémonie d’adieu au Centre des congrès de Québec. «Il y avait là l’expression d’un rejet profond dans toute la société québécoise de la violence qui découle d’un certain discours, d’une certaine méfiance», pense-t-il.

Samira Laouni estime également que l’attentat à la mosquée de Québec aura permis des prises de position claires de la part de certains politiciens. Elle cite notamment l’ex-maire de Québec, Régis Labeaume, et le premier ministre du Canada, Justin Trudeau. 

Si une solidarité avec les personnes musulmanes s’est rapidement manifestée après la tragédie du 29 janvier 2017, Samira Laouni mentionne que celle-ci s’est toutefois effritée avec le temps. 

En réaction à ce constat, Mme Laouni a cofondé la Semaine de la découverte musulmane. Celle-ci vise à créer «des moments d’échanges où des personnes de toutes origines sont invitées à en apprendre davantage sur les réalisations, les contributions, les aspirations et les préoccupations des Québécois musulmans», explique-t-elle.

La haine en ligne

Bien qu’aucune donnée à ce sujet ne soit encore disponible, Lina El Bakir pense qu’il y a une augmentation de la haine en ligne dirigée vers les musulmans. 

Dans le contexte de la pandémie, il est facile de voir des commentaires islamophobes sur les réseaux sociaux, affirme Mme El Bakir. «Si on veut faire face à l’islamophobie, il faut définitivement s’attaquer à la haine en ligne et créer des balises pour s’assurer qu’elles soient respectées», précise-t-elle. 

Pour sa part, le professeur Rachad Antonius fait quelques mises en garde lorsqu’on analyse l’hostilité envers les musulmans sur les réseaux sociaux. 

Les internautes laissent davantage libre cours à leur agressivité en ligne puisqu’ils n’ont qu’un écran devant eux, pense le sociologue. «Il faut donc être prudent dans l’interprétation de l’étendue du phénomène et dans l’interprétation de ses manifestations», ajoute-t-il. 

Des «citoyens de seconde zone»?

Lina El Bakir et Samira Laouni s’entendent pour dire que la Loi sur la laïcité de l’État est discriminatoire.

En interdisant le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité coercitive ainsi qu’aux enseignants du réseau scolaire public au Québec, la loi crée «des citoyens de seconde classe», pensent-elles. «Ça empêche des petites filles qui ont le rêve de devenir professeure ou procureure de le réaliser», déplore Mme El Bakir.

Samira Laouni est d’avis que de telles politiques amènent plus de haine, de division et de polarisation.

C’est cette polarisation, aujourd’hui, au Québec, qui est dangereuse.

Samira Laouni

Pour sa part, même s’il se positionne contre la loi 21, considérant qu’elle «fait plus de tort que de bien» dans un contexte où le Québec manque d’enseignants, Rachad Antonius ne pense pas qu’elle soit raciste. «C’est une loi qui restreint le port de signes religieux dans certaines positions d’autorité. […] Ça ne s’applique qu’aux musulmans puisque les catholiques ont déjà appliqué les objectifs de la loi à eux-mêmes, il y a 30 ou 40 ans», argue-t-il. 

Une vigie montréalaise à la mémoire des victimes de la tuerie de la mosquée de Québec aura lieu devant la station de métro Parc ce samedi, de 17h à 19h. 

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