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Guerre en Ukraine: les paris ratés de l’OTAN

Des réfugiés Ukrainiens arrivant à une station de train à Liev
Photo: IStock / Joel Carillet

Dans le contexte où plusieurs spécialistes ont lancé des avertissements concernant l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), comment doit-on interpréter la décision de l’OTAN de les ignorer? A-t-elle contribué à préparer le terrain pour l’invasion russe en Ukraine? Une analyse de John Duncan, directeur du programme éthique, société et droit de l’Université de Toronto.


ANALYSE – Pendant 25 ans, les spécialistes ont lancé le même avertissement à propos de l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN): attention, danger. «L’erreur la plus funeste de la politique américaine de toute l’après-guerre froide », écrivait le diplomate et historien américain George F. Kennan en 1997.

Et cette sommité, aujourd’hui décédée, ajoutait: cette expansion aurait un effet négatif sur le développement de la démocratie russe», «enflammerait les tendances nationalistes, antioccidentales et militaristes en Russie» et «relancerait la guerre froide».

La décision d’ignorer ces avertissements était un pari risqué. Depuis, l’OTAN s’est élargie à 14 pays de l’Europe de l’Est, sauf quelques-uns, dont l’Ukraine, ce qui a fortement contribué à préparer le terrain pour l’invasion russe en Ukraine.

Les aspirations de Zelensky

L’Ukraine, deuxième plus grand pays d’Europe, partage avec la Russie une histoire millénaire et une frontière de 2 000 kilomètres – sans compter 1 000 kilomètres de frontière additionnelle avec le Belarus, proche allié de Moscou.

En septembre 2020, le président ukrainien fraîchement élu, Volodymyr Zelensky, a approuvé une nouvelle stratégie de sécurité nationale visant son adhésion à l’OTAN– laquelle aurait requis encore bien des années pour satisfaire aux conditions d’adhésion.

Les dirigeants qui s’opposent à l’OTAN n’ont jamais digéré son expansion, notamment le président russe Vladimir Poutine, toujours prompt à attiser le sentiment nationaliste dans un pays où la liberté de la presse est malmenée. Au début de l’invasion de l’Ukraine, il déclarait au peuple russe :

Nous avons patiemment cherché un accord avec les principaux pays de l’OTAN […] tandis que celle-ci continuait à s’étendre malgré nos protestations […] Sa machine militaire est en marche et […] s’approche de nos frontières.

Vladimir Poutine

Bien sûr, la Russie est un État autoritaire, surtout avec Poutine comme président, mais il est utile de se demander comment réagirait n’importe quel État en voyant son principal rival militaire marcher vers ses frontières.

Chose certaine, ni les États-Unis ni l’OTAN n’auraient toléré que la Russie, même si elle y avait été invitée, vienne étendre sa sphère d’influence militaire en Amérique centrale. À plus forte raison avec le Mexique – dont la frontière avec les États-Unis est aussi longue que celle de l’Ukraine avec la Russie et le Belarus.

Pari no 1 – Expansion rapide de l’OTAN

Il est clair que le premier pari de l’OTAN a échoué. Son expansion rapide, perçue comme une menace en Russie, y a exacerbé sa dérive nationaliste, militariste et autoritaire qui nous replonge dans la guerre froide.

Depuis 2014, la Russie a eu recours à la force meurtrière et à l’annexion illégale dans le sud-est de l’Ukraine, malgré les sanctions, qui se sont avérées inadéquates et inefficaces.

Dans les mois qui ont précédé le 24 février 2022, la Russie a réalisé de grandes manœuvres militaires près de l’Ukraine. Personne ne pouvait ignorer qu’elle était capable d’invasion, et que celle-ci viserait à contrecarrer l’OTAN.

Il y avait deux scénarios possibles.

Soit, la Russie bluffait dans l’optique de négocier un accord qui exclurait l’Ukraine de l’OTAN contre la garantie que la Russie respecterait la souveraineté ukrainienne.

Soit, la Russie envahirait une partie de l’Ukraine afin d’assurer un tampon avec les «frontières de l’OTAN» (le terme utilisé par l’OTAN pour décrire les frontières de ses États membres).

Pari no 2 – La Russie bluffe

L’OTAN a également parié que la Russie bluffait. En refusant de négocier un accord sur la neutralité ukrainienne, l’OTAN resterait alors libre de poursuivre son expansion.

Bien que les dirigeants des États membres de l’OTAN aient déclaré que «toutes les options » étaient sur la table, au moins une ne l’était pas: des négociations qui auraient véritablement pris en compte l’intérêt vital déclaré de la Russie à ce que l’OTAN arrête son expansion et laisse l’Ukraine neutre.

Or, après tant de dévastations, une neutralité ukrainienne négociée – l’option sacrifiée par le deuxième pari – demeure la seule sortie viable vers la paix, et de plus en plus de voix la réclament.

Si des négociations menant à une éventuelle neutralité ukrainienne avaient été entamées avant le 24 février, l’issue aurait pu être meilleure. Chose certaine, elle ne serait pas pire qu’aujourd’hui si elles s’étaient conclues par une invasion russe.

Pari no 3 – Guerre contenue en Ukraine

Maintenant que les deux premiers paris ont échoué, l’OTAN en est réduite à son troisième pari: contenir la guerre en Ukraine à l’intérieur des frontières, dans les limites d’une guerre conventionnelle.

Dans le cadre de ce pari, l’OTAN a signalé que ses États membres n’interviendraient pas militairement en Ukraine.

Les troupes de l’OTAN ont été retirées d’Ukraine et déplacées dans les États voisins, laissant la Russie relativement libre de poursuivre ses objectifs militaires en Ukraine.

La chose est tragique pour l’Ukraine, mais confiner la guerre à l’intérieur de ses frontières sans soutien direct de l’OTAN est bel et bien l’objectif du troisième pari. Un affrontement direct entre les forces russes et de l’OTAN à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Ukraine pourrait dégénérer en un conflit beaucoup plus large entre les deux principales puissances nucléaires.

Une guerre chaude en Ukraine doit être contenue pour que la guerre entre la Russie et l’OTAN reste froide. Espérons que le troisième pari fonctionnera mieux que les deux autres.

L’OTAN continuera de biaiser

Dans cette étrange «guerre des mondes», l’OTAN a ouvertement pris parti pour l’allié ukrainien assiégé, mais il était convenu depuis le début qu’il ne serait pas possible pour les pays de l’OTAN d’entrer en guerre pour soutenir directement l’Ukraine.

Bien que les Ukrainiens soient seuls à combattre, ils se défendent chèrement et les Russes paient le prix fort. L’Ukraine, dont l’armée est relativement forte, reçoit un soutien quasi universel pour tout ce dont elle a besoin (incluant des armes, mais pas de soldats de l’OTAN). L’OTAN n’a cédé aucun terrain, et une longue guerre affaiblira la Russie.

La Russie, en envahissant l’Ukraine, a violé de manière flagrante le droit international et la décence humaine, mais son but premier est de sécuriser au moins une partie de l’Ukraine comme tampon entre elle et l’OTAN.

Et l’Ukraine continuera de souffrir aux mains de la Russie – mais aussi à cause des mauvais calculs de l’OTAN.


John Duncan est directeur du programme éthique, société et droit de l’Université de Toronto. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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