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Des thérapies de conversion «made in USA» pour les personnes LGBTQ+ du Québec

Prêtre devant une église
Photo: Istock

ENQUÊTE – Bien qu’il soit criminel au Canada de tenter de changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de quelqu’un, des organisations parviennent à contourner la loi en orientant les personnes LGBTQ+ vers des thérapeutes de l’étranger, par le biais de la télémédecine.

C’est le cas de l’organisme Ta Vie Ton Choix, qui dit fournir de l’«aide aux personnes luttant contre des attraits envers le même sexe» ainsi que de l’«aide aux parents ayant un enfant souffrant d’un trouble de l’identité sexuelle». Cet organisme présidé par Michel Lizotte – déjà mentionné dans les médias pour ses pratiques auprès des personnes homosexuelles – a été dissous en 2021, peut-on constater dans le registre des entreprises du Québec.

Mais après enquête, Ta Vie Ton Choix semble toujours actif. 

Une recherche sur Google mène à son site, où on propose de mettre en relation avec un thérapeute toute personne souhaitant «surmonter les pensées, attraits ou comportements homosexuels dont [elle] souhaite être libérée». Différents services sont offerts, comme des ateliers ou des groupes de soutien.

Sous une fausse identité, afin de vérifier si Ta Vie Ton Choix était toujours actif, Métro s’est fait passer pour un jeune homme gai désirant changer d’orientation sexuelle et demandant du soutien à un thérapeute. 

«Bienvenue aux États-Unis!»

Dès le lendemain, un courriel est reçu à l’adresse utilisée pour communiquer avec le site. Il provient d’un psychothérapeute du Nevada nommé Robert L. Vazzo. Ce dernier commence l’échange par de chaleureuses salutations: «Bienvenue aux États-Unis et merci de votre courriel!»

D’emblée, M. Vazzo déclare que la thérapie qu’il offre n’est pas une «thérapie de conversion» et qu’il «ne cherchera pas à te changer». Il écrit que «dans le passé, les psychothérapeutes ont essayé de changer l’orientation sexuelle de leurs clients et [que] cela a souvent fini mal pour le client au niveau de [son] amour propre».

Robert L. Vazzo se trouve dans le répertoire des «thérapeutes chrétiens» en ligne. Sur son profil, on peut lire la phrase suivante: «Si vous faites face à des problèmes plus spécialisés tels que l’identité personnelle, l’orientation sexuelle, la pornographie, les fétiches et/ou la dépendance sexuelle, vous avez définitivement trouvé votre thérapeute.»

Ce thérapeute conjugal et familial agréé de l’État du Nevada a été formé auprès de Joseph Nicolosi, un des pionniers dans le monde en matière de «thérapie réparatrice» (autre terme utilisé pour décrire les thérapies de conversion), qui s’est fait connaître dans les années 1990. De son vivant, Joseph Nicolosi croyait qu’il était possible de changer l’orientation sexuelle des gens et a même écrit le Guide du parent pour prévenir l’homosexualité. Robert L. Vazzo rend d’ailleurs hommage à Nicolosi dans un documentaire. «Il ne se passe pas un jour où, même quand je fais de la thérapie, je ne pense pas à lui, ou à comment il ferait face à une situation», révèle-t-il dans le film.

Robert L. Vazzo est très proche de Ta Vie Ton Choix. Sur le site de l’organisme, on peut lire que Ta Vie Ton Choix est passé «entre les mains» de Robert L. Vazzo le 11 décembre 2020. Il a auparavant été sous la direction de bénévoles québécois pendant une dizaine d’années. 

Dans un des courriels échangés avec Métro, Robert L. Vazzo se prononce sur l’homosexualité. «Le problème n’est pas tout à fait votre homosexualité, c’est le fait que vous ne voyez pas votre propre masculinité et vous êtes attiré par la masculinité des autres. (L’homosexualité est un symptôme.)»

La plupart de mes clients voient une diminution de leurs sentiments homosexuels. 

Robert L. Vazzo

Augmenter sa «réactivité hétérosexuelle»

Pensant discuter avec un jeune homme homosexuel désirant changer son orientation sexuelle, M. Vazzo poursuit les échanges en exposant ses honoraires, qui vont de 187 $ pour 45 minutes à 248 $ pour 60 minutes. Il nous fait parvenir différents formulaires d’autorisation de carte de crédit, des formulaires de consentement pour la télémédecine ainsi qu’un formulaire de «Consentement à la thérapie d’exploration de la fluidité de l’attraction sexuelle (SAFE-T)». 

Dans ce document, il expose la forme que prendra la thérapie. C’est là où le propos diffère de celui du premier courriel, dans lequel il se distanciait des thérapies de conversion.

Ses traitements, explique-t-il, sont «centrés sur l’objectif du patient de diminuer les attirances homosexuelles et l’augmentation de la réactivité hétérosexuelle». 

«En cas de succès, le traitement permettrait à une personne qui est mal à l’aise avec son orientation sexuelle, ses pratiques sexuelles, de développer un mode de vie ou une orientation avec laquelle elle pourrait être plus à l’aise.» 

Il faudrait prévoir en moyenne une séance par semaine, pendant au moins deux ans. La pratique se fait par télémédecine (FaceTime, Skype, etc.). On peut lire qu’il n’y a aucune garantie d’un «changement réussi». 

«Bien que la plupart des clients ressentent certains avantages, ils trouvent généralement que la croissance vers l’hétérosexualité est un processus continu, un processus à vie, peut-on lire. Il faut aussi être conscient que pour la plupart des gens, certaines attirances homosexuelles peuvent rester. De même, certains clients ont signalé des périodes d’asexualité et de bisexualité.»

Québec a adopté un projet de loi visant à protéger les personnes contre les «thérapies de conversion» en 2020. Le fédéral a emboîté le pas un an plus tard en modifiant le Code criminel pour interdire ce type de pratique. Les «thérapies de conversion» sont décrites par la loi québécoise comme «tout service ou tout traitement de nature spirituelle ou non ayant pour but d’amener une personne à changer son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre ou encore à réprimer les comportements sexuels non hétérosexuels». 

La loi prévoit que nul ne peut s’engager à dispenser à une personne une thérapie de conversion ni faire la promotion de ces pratiques. Toute personne allant à l’encontre de cette loi est passible d’amendes allant de 5000 $ à 150 000 $. Le Code criminel canadien prévoit quant à lui une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

L’enjeu de la télépratique 

Bien que ce type de «thérapie» soit illégal au Canada, l’utilisation de la télépratique semble être un levier utilisé ici pour contourner la juridiction canadienne. Mais cela reste illégal.

«La jurisprudence l’a confirmé, lorsque des gestes et des actes – ou certains d’entre eux – ont été faits en dehors du Canada et qu’il y a un lien réel et substantiel au Canada, même si le thérapeute réside en dehors du pays et fait des actes là-bas, oui, il peut être sanctionné par le Code criminel; c’est clair dans la loi canadienne», explique Jeffrey A. Talpis, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialiste en droit international privé.

Il reconnaît cependant que l’exécution des sanctions reste «complexe». Bien que les sanctions d’emprisonnement soient presque impossibles à appliquer, des sanctions monétaires pourraient l’être.

Pour M. Talpis, la loi québécoise pourrait aussi s’appliquer. Les victimes pourraient poursuivre directement le thérapeute et demander une compensation monétaire pour les dommages qu’elles ont subis et demander une injonction pour faire cesser la pratique du thérapeute. Or, «même si un tribunal prend juridiction contre le thérapeute, il risque de n’y avoir aucune reconnaissance et exécution de ce jugement à l’étranger […] et donc la victime n’est pas protégée du tout», nuance Jeffrey A. Talpis.

Le scénario le plus probable, c’est qu’une victime prenne un recours au Québec contre ce thérapeute du Nevada. Mais dans l’état actuel du droit, il n’y a pas une grande protection.

Jeffrey A. Talpis, spécialiste en droit international privé

«Il faut vraiment penser à des solutions de résolution de ces cas pour protéger l’accès à la justice», ajoute-t-il.

Contacté par Métro, l’ancien administrateur de Ta Vie Ton Choix, Michel Lizotte, a expliqué ne plus avoir de liens avec l’organisme et qu’un «psychologue ou psychiatre» est désormais à sa tête. Ce dernier nous a invité à consulter le site de l’organisation, qui est pour le moment «en maintenance». 

«C’est illégal maintenant [ici], alors depuis ce temps-là, c’est rendu aux États-Unis», dit M. Lizotte. 

Robert L. Vazzo n’a pas donné suite aux demandes de Métro.

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