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Accoucher à l’hôpital quand on est un homme trans

Photo: iStock

Face à un milieu hospitalier inadapté et manquant de formation à l’égard des communautés LGBTQ2+, donner la vie lorsque l’on est un homme trans peut amener son lot d’expériences négatives. Entre mégenrage – s’adresser à une personne ou parler d’elle avec un pronom ou un genre qui ne lui correspond pas –, stress additionnel et formulaires inappropriés, les futurs pères trans sont confrontés à un système qui ne leur laisse que peu de place.

Shine Kolia est un homme trans vivant à Sherbrooke. Bien que sa femme réside encore en Côte d’Ivoire, c’est d’une décision mutuelle que le couple a décidé l’année dernière d’entamer des démarches pour que Shine tombe enceint ici, au Québec. Une fois enceint, Shine à d’abord dû trouvé une clinique proche de chez lui pour son suivi de grossesse.

Au sein de cette clinique, l’ensemble du personnel respecte l’identité et l’expression de genre de Shine, mais plusieurs de ses examens doivent être faits à l’Hôpital de Sherbrooke, où la situation serait beaucoup plus difficile.

Shine Kolia Photo: Gracieuseté

Une échographie difficile

Shine se rappelle malheureusement trop bien de sa première échographie. À peine était-il assis dans la salle d’attente avec son ami venu l’accompagner que le mégenrage a commencé.

Se référant à sa carte d’assurance maladie, la secrétaire l’a appelé au microphone par son morinom – deadname, ou nom assigné à la naissance. N’ayant pas encore changé son identité à l’état civil, c’est donc avec une attitude très pédagogique que Shine a approché la secrétaire, en vain; cette dernière a continué de l’appeler par son morinom, malgré ses demandes de se faire genrer au masculin.

Avant d’aller à l’Hôpital, je ressens un stress. Ça commence déjà quand je dois me pointer devant la secrétaire et que je dois sortir ma carte [d’assurance maladie]; c’est là que le stress commence. Quand tu es dans une salle d’attente et que le nom qui est dit dans le haut-parleur n’a rien à voir avec ton style vestimentaire, tu as droit à des petits regards des autres patients. Et il arrive qu’on te demande de t’assoir à nouveau dans la salle d’attente et là, c’est deux fois plus gênant.

Shine, père trans

Au moment d’entrer dans la salle d’échographie, Shine a de nouveau été confronté au mégenrage, sous le regard énervé de son ami. «La personne qui devait faire l’échographie a commencé par dire « installez-vous madame » et mon ami lui a répondu « c’est pas madame, c’est monsieur », mais elle ne s’est pas excusée», explique Shine.

L’infirmière n’aurait par la suite pas pris la peine d’expliquer la situation au médecin responsable de l’échographie, introduisant Shine comme «une patiente». À la fin de l’examen, le mégenrage a continué avec le médecin, qui lui a souhaité une «bonne grossesse, madame».

«En quelque sorte, la personne en face de toi est en train de nier ton identité, en train de remettre en cause qui tu es, mais quelque part, on ne peut pas en vouloir à la personne, car elle se réfère à son cursus de formation», explique Shine.

«Pour moi, hôpital égal stress»

Shine se dit rassuré de savoir qu’une infirmière de la clinique qu’il fréquente pourra être présente à l’hôpital le jour de l’accouchement.

«Ma plus grande peur, c’était d’entendre tout le long du travail « poussez madame! poussez madame! », explique Shine. Pour moi, l’hôpital égal stress […]. Au début, je voulais accoucher à la maison pour éviter ce stress, mais vu mon âge et le risque de complications, j’ai dû abandonner ce projet. Mais dans le fond, c’était pour éviter ce stress d’être mégenré […]. Même avant la grossesse, j’ai refusé d’aller à l’hôpital car je n’en pouvais plus.»

Les services de natalité des hôpitaux sont structurés autour du schéma cisnormatif et rien n’est fait pour accueillir les pères trans enceints comme Shine, à commencer par les affiches placardées sur les murs montrant des mamans et leurs bébés.

«C’est sur que c’est agressif, tu te sens exclu, mais moi, quand c’est comme ça, je me mets dans une bulle et je me dis que je suis là juste pour un temps, explique Shine. Je décide de ce qui peut m’atteindre ou pas, et si j’estime que cette image qui est juste genrée stéréotypée ne m’atteindra pas, je ne regarde pas ces affiches.»

Shine affirme n’avoir jamais vu un formulaire adapté aux personnes trans et non-binaires tout au long de sa grossesse. Face à de plus en plus d’hommes trans qui donnent naissance, la nécessité s’impose de revoir les codes du milieu hospitalier de façon à rendre cet environnement plus inclusif, croit-il.

«On ne demande pas de réformer tout du jour au lendemain. On demande juste de mettre un peu de bon sens et d’humanité dans les services qu’on offre aux personnes», lance Shine.

Vers du changement?

Pour la directrice générale de la Coalition des familles LGBT+, Mona Greenbaum, l’intérêt du milieu de la santé à être formé se fait sentir. Il doit être accompagné par une préparation des personnes trans et non-binaires à un monde de la grossesse très féminin et, donc, genré. Elle soutient que les ressources sont déjà présentes mais qu’il suffit de les adapter.

«Le besoin est là et les membres du personnel du milieu de la périnalité nous disent qu’ils sont très intéressés à avoir ce genre de formation. Les personnes trans ont besoin d’avoir un sentiment d’être outillées pour se confronter à un monde hétérocisnormatif», dit-elle.

Elle mentionne le CLSC Bordeaux-Cartierville, qui commence à rencontrer des patients trans enceints. La Coalition des familles LBGT+ propose des ateliers généralisés pour les parents et futurs parents LGBT et souhaite développer une formation sous forme d’ateliers spécifiquement pour les futurs parents trans.

En général, le milieu de la santé n’est pas très bien formé pour les personnes trans. Il n’y a pas une semaine où je n’entends pas des histoires négatives, du refus total de traitement jusqu’au mégenrage.

Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT+

Le CIUSSS de l’Estrie-CHUS, où se trouve l’Hôpital de Sherbrooke, explique avoir réalisé plusieurs travaux afin de rehausser l’offre de soins et de services pour les usagers trans, non binaires ou en questionnement, ainsi que leur famille et leurs proches. Une formation en ligne gratuite a aussi été rendue disponible dans l’objectif de sensibiliser le personnel aux pratiques à adopter pour mieux répondre aux besoins des personnes trans et non binaires.

Certains des CIUSSS de l’île de Montréal ont commencé à former leur personnel aux réalités des personnes trans et non-binaires. Le CIUSSS de l’Ouest de l’Île explique offrir des formations, des conférences et des outils à ses équipes pour accompagner les usagers transgenres dans leurs services de natalité. Le CIUSSS du Nord de l’île de Montréal explique intégrer de la documentation de manière progressive en langage inclusif ainsi que d’offrir des formations à ses employés.

Le CIUSSS de l’Est explique cependant ne pas avoir mis en place d’actions spécifiques pour l’accompagnement des pères transgenres dans leur accouchement.

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