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Nomination d’Elghawaby: au-delà de la polémique

L'ancienne journaliste et militante des droits de la personne Amira Elghawaby est désormais porte-parole et conseillère du gouvernement fédéral dans la lutte à l'islamophobie et au racisme systémique. Photo: Gracieuseté - Site d'Amira Elghawaby

La nomination d’Amira Elghawaby est appuyée par seulement 15% des Québécois, selon un sondage Léger-Le Devoir. Ce sondage montre aussi qu’une part importante des Québécois font preuve d’indifférence face à cette polémique. Mais le son de cloche est différent chez les Québécois musulmans. Métro est allé à leur rencontre.

«Pendant que ces polémiques ont lieu, les Québécois, ce dont ils se préoccupent, c’est qu’ils font face à des prix élevés à l’épicerie et à une crise du logement», note Leila Benkhaled, une Montréalaise musulmane impliquée dans son quartier et ancienne candidate pour Projet Montréal en 2021.

Pour Mme Benkhaled, de nombreux chroniqueurs cherchent à créer des polémiques sur le dos des musulmans. «Est-ce que cette affaire politique a changé ou amélioré le niveau de vie des Québécois?» demande cette citoyenne. «Pendant ce temps-là, on ne s’attaque pas aux vrais problèmes», s’indigne-t-elle.

Le gouvernement provincial ne veut pas parler des discriminations et de l’islamophobie, car «ce n’est pas populaire». Il préférerait «débattre de la façon dont on parle des minorités», considère pour sa part le PDG du Conseil national des Canadiens musulmans, Stephen Brown.

La polémique Elghawaby montre que «pour une certaine classe politique et médiatique, les malaises et les droits des musulmans valent moins que les droits et les malaises du reste de la société», estime le PDG.

Au lieu de parler de parler du fond du problème qu’est l’islamophobie, on s’attarde sur des propos de 2019. Imaginez-vous ce que ressent une personne maghrébine qui vit de la discrimination et qui, malgré son diplôme d’ingénieur, travaille dans un fast-food [à cause du racisme systémique], quand elle voit ce genre de polémiques…

Stephen Brown, PDG du Conseil national des Canadiens musulmans

Une élue montréalaise de confession musulmane – dont le parti a refusé qu’elle s’exprime publiquement sur le sujet – s’est également entretenue anonymement avec Métro. Elle se pose des questions sur les raisons qui poussent le gouvernement à éviter de parler de racisme systémique et d’islamophobie et elle trouve cela inquiétant. «Pourquoi M. Legault évite-t-il ce débat? Pourquoi n’est-il pas venu aux commémorations de l’attentat de Québec?» s’interroge-t-elle. 

Vivre l’islamophobie 

Le Conseil national des Canadiens musulmans relève que les polémiques tendent à éclipser l’existence des discriminations systémiques. «Ce sont des choses qu’on a déjà vues dans le passé», dit M. Brown. «Le débat vire rapidement sur le fait de savoir si les Québécois sont racistes, sans jamais, au final, parler de racisme.» Selon lui, il ne faut pas oublier que ceux qui subissent du racisme sont aussi québécois.

L’islamophobie, Leila Benkhaled l’a vécue pendant sa campagne électorale. «Mes affiches étaient taguées. Parce que je porte le foulard, on écrivait “Non à la charia” dessus», raconte-t-elle. Pour cette mère de famille montréalaise, il est ironique que ceux qui s’inquiètent de l’oppression des femmes voilées souhaitent contrôler comment celles-ci s’habillent, alors que ces dernières veulent «simplement contribuer à la société québécoise». Elle voit dans cette habitude une démonstration du patriarcat.

À chaque polémique sur les musulmans, on se dit “encore!” et à chaque fois on se demande quand ça va s’arrêter. La femme musulmane est instruite et compétente, mais on l’a réduite à un morceau de tissu. C’est pourtant quelque chose qui fait partie de son intimité.

Leila Benkhaled, montréalaise de confession musulmane et ancienne candidate aux élections municipales de 2021

Tous trois observent qu’il est difficile de s’exprimer sur le sujet sans faire de remous. Une chercheuse universitaire spécialiste du racisme n’a d’ailleurs pas voulu accorder d’entrevue à Métro par crainte du cyberharcèlement qui pourrait en découler. 

Éviter les dérives françaises

«Nous devons préserver notre Québec et éviter des dérives comme nous voyons en France», préconise l’élue (anonyme). En France, de nombreuses polémiques éclatent régulièrement autour du port du foulard. En 2019, une femme voilée avait été agressée dans une assemblée régionale par un politicien lui demandant de sortir, au nom de la laïcité. 

Cette crainte de l’importation d’un problème politique français est partagée par Stephen Brown. Rappelons qu’une loi qui va plus loin que la loi 21, en interdisant le port de signes religieux aux élèves aussi, existe outre-Atlantique depuis 2004. M. Brown estime que le gouvernement a fait la loi 21 en pensant que «pour éviter les extrêmes, il faut parfois leur en donner un peu». Or, il remarque que cette politique a échoué en France, où les discours islamophobes sont encore plus présents.

L’élue montréalaise croit de son côté que le Québec est rempli de gens bien. Elle se rappelle qu’après l’attentat de la mosquée de Québec, les Québécois musulmans ont aussi reçu énormément de soutien et que la province a montré un front uni. Elle en vient à la conclusion que cette affaire «est juste une polémique» et qu’il s’agit avant tout de politique. Pour elle, «le vrai Québécois, il n’est pas comme ça».

Leila Benkhaled tient d’ailleurs à rappeler que les femmes musulmanes qui portent le foulard contribuent à la société québécoise et à son avancement. Chaque matin, elle est elle-même bénévole pour aider les enfants avant l’école, ce qu’elle a également fait durant la pandémie. Elle dispose d’ailleurs d’un doctorat en physico-chimie, mais elle ne peut enseigner au Québec à cause de la loi 21. 

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