J'ai peur des yeux

On l’a tous vécu, le moment, le malaise dans l’ascenseur. L’air devient lourd, s’appuie sur le temps, l’écrase, l’arrête. Des yeux partout! Vite, faut poser les nôtres sur quelque chose! N’importe quoi. Une bouée pour sauver nos petits yeux de la noyade du regard d’inconnus. Les étages qui défilent! Parfait. Fiou. Ça a passé proche. Nos yeux auraient pu être en contact avec des yeux étrangers!! Vous imaginez la CATASTROPHE!!!

Voulez-vous bien me dire c’est quoi, cette maladie mentale qu’on a? Que j’ai. Dans le métro, jamais je ne regarde une jolie fille directement. Tout d’un coup qu’elle me voie et découvre que je la trouve belle. Quel drame ce serait! Je cherche plutôt son reflet dans la fenêtre. Puis, évidemment, si son regard croise le mien, je fais semblant d’admirer le paysage. : «Ah, wow, un tunnel! Ah, un néon!! Namur, personne ne descend là… Ah un autre tunnel!»

Dans l’autobus, je regarde soit par terre, soit dehors, ou alors je lis 48 fois les pubs plates en haut des fenêtres. Tout ça pour éviter d’entrer en contact avec des yeux et entendre la phrase que je redoute : «Tu veux ma photo?!» Premièrement, personne n’a jamais dit ça. Deuxièmement, si je veux la photo d’une personne inconnue, je vais sur Facebook. Moi, regarder des gens à leur BBQ de 2003, j’aime ben ça.

Il paraît que la peur la plus répandue chez les gens est celle d’être seul devant une foule. Pas les fantômes, les requins ou les araignées. Même pas mourir! Être seul devant une foule. Bref, devant une grande quantité d’yeux qui regardent, épient, jugent. On a plus peur que les gens nous voient mourir que de mourir. C’est beau.

Heureusement, il y a des bébés pour soulager nos yeux. Lorsqu’un bébé entre dans un lieu, tout le monde arrête de regarder ses souliers puis le fixe droit dans les yeux. Des yeux qui ne jugent pas, qui ne haïssent pas. Des yeux sensibles, mais pas susceptibles. Des yeux neutres, vierges. On plonge nos yeux dans ceux du bébé, on fait une provision pour la journée, puis on retourne à nos souliers. La journée terminée, on entre à la maison afficher nos 36 nouvelles photos sur Facebook. C’est le plus beau de l’histoire. On veut que tout le monde nous regarde, mais que personne ne nous voie.

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