Les crimes haineux en hausse depuis l'attentat
MONTRÉAL — Il y a un an, jour pour jour, a eu lieu un terrible attentat en sol québécois: six hommes ont été tués, et d’autres blessés, lorsqu’un tireur a ouvert le feu dans une mosquée de la ville de Québec, pendant la prière. Une année s’est écoulée depuis et les crimes haineux ont augmenté tant à Québec qu’à Montréal — et une bonne partie de ceux rapportés à la police visaient des musulmans.
Dans la ville de Québec, où se trouve la mosquée qui a été ensanglantée par les balles le 29 janvier 2017, 71 crimes haineux ont été rapportés à la police en 2017, soit dans l’année qui a suivi l’attaque. Il y en avait eu moins auparavant: on parle de 57 en 2016 et 25 en 2015.
Plus de la moitié des signalements en 2017 étaient pour des crimes visant les musulmans, soit 42 sur 71. Certains avaient été dirigés vers des lieux de culte de cette religion.
À Montréal, la situation est similaire: les crimes haineux ont aussi augmenté dans la dernière année.
Des citoyens en ont rapporté 250 en 2017 — dont 94 visant des musulmans ou des personnes d’origine arabe. Il y avait eu 158 crimes haineux signalés à la police en 2016.
Parmi ceux-ci, les crimes contre la personne — menaces, harcèlement, voies de fait — ont été plus fréquents que les crimes contre la propriété, comme du vandalisme ou des insultes sous forme de graffitis.
Les deux mois qui ont été les plus marqués par ces crimes sont février (31) — soit tout juste après l’attentat de Québec — et août (42).
Pourquoi août? «Nous, l’explication sur laquelle on s’est penchés, c’est l’arrivée massive des migrants. Ça a suscité beaucoup de réactions», a expliqué en entrevue téléphonique Line Lemay, lieutenante-détective au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), au secteur prévention et sécurité urbaine.
Selon Mario Vézina, capitaine de la section des crimes majeurs au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), la hausse des crimes haineux rapportés signifie «que les gens signalent davantage ces situations».
«Et cela, pour nous, c’est une bonne chose», a-t-il ajouté.
Est-ce que cela veut dire qu’il y a plus de crime haineux? Dur à dire, répond le capitaine.
Mais il croit qu’il est probable que l’attentat de la mosquée a joué un rôle et que les citoyens dénoncent plus parce qu’ils ont vu où pouvaient mener ces crimes haineux, avec les pertes de vie et les blessés du 29 janvier 2017.
«Ces événements ont marqué, avec raison, beaucoup de gens», dit-il.
Même chose du côté de Québec. Mme Lemay croit que cela signifie que plus de crimes sont rapportés, à la fois par les victimes et par des témoins. Elle ne croit pas qu’il y ait plus de crimes haineux sur son territoire.
Elle souligne que beaucoup de gens ont rapporté des propos qu’ils ont vus sur des réseaux sociaux qu’ils jugeaient inacceptables ou dangereux.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse se dit préoccupée par cette augmentation des crimes haineux rapportés à la police.
Ces statistiques l’inquiètent, tout comme les résultats préliminaires d’une étude qu’elle mène depuis 2016, visant à documenter, comprendre et analyser les actes haineux à caractère xénophobe au Québec.
Selon ses constats, les actes haineux motivés par la haine de la race et de la religion en particulier ont augmenté dans les dernières années, y compris après l’attentat du 29 janvier 2017, notamment «les méfaits contre des biens liés au religieux».
De plus, souligne la Commission, les communautés musulmanes enregistrent le pourcentage le plus élevé de victimes de sexe féminin.
«Les femmes portant le hijab sont une cible visible et explicite d’actes motivés par la haine de la religion», explique la Commission dans un communiqué diffusé lundi.
La violence des discours haineux sur internet ainsi que des groupes d’extrême droite est aussi une source de préoccupation.
Cette augmentation des crimes haineux inquiète — choque même — Rachid Boudjarane, de la Fédération des Canadiens musulmans.
«Ça veut dire qu’on n’a pas assez fait pour sensibiliser les gens», dit-il.
Les politiciens doivent regarder ces chiffres-là et se demander: «pourquoi on n’a pas avancé?», estime l’homme qui est responsable des relations publiques pour la Fédération.
«Est-ce que ça va donner des idées à d’autres? Bien sûr, il y a une insécurité.»
Mais selon lui, l’insécurité était pire au sein de la communauté musulmane au moment du débat sur la Charte de valeurs.
Après la fusillade de Québec, il croit que les Québécois étaient vraiment conscients de la gravité de la situation. «Vous les avez vus sortir dans les rues?» s’exclame M. Boudjarane, heureux de cette solidarité.
«La société québécoise a été touchée dans son ensemble.» Et nous, ça nous a touchés de voir leur réaction, ajoute-t-il.
Pour lui, il ne fait aucun doute que les citoyens vont continuer à dénoncer et signaler les crimes haineux.
Les six hommes qui ont été tués lors de l’attaque sont Mamadou Tanou Barry, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane, Khaled Belkacemi, Aboubaker Thabti et Ibrahima Barry.