La pente savonneuse
Je me souviens, comme tout le monde, de la dernière campagne présidentielle américaine. L’arrivée de Trump, du moins initialement, suscitait simultanément rigolade et haussement d’épaules. Mais qu’est-ce que ce clown, au fait? Ce sera de courte durée. Pensait-on.
Cette impression en venait à s’amenuiser à chaque nouvelle crise, à chaque coup de gueule, à chaque bouffonnerie. Parce que visiblement, une fraction relativement considérable de l’opinion publique américaine s’amourachait, peut-être de plus en plus, du personnage. Mais bon. Il finira bien par se planter. Impossible, n’est-ce pas, de poursuivre ainsi ? Le show s’essoufflera, les spectateurs en viendront à se lasser et, chose inéluctable, changeront ultimement de poste.
Ce sentiment qui m’habitait a atteint son paroxysme au moment où Trump insista, et sans ambages, sur la nécessité d’adopter aux États-Unis un Muslim ban, lequel interdirait aux musulmans le territoire américain. Dans la même veine, il sera aussi proposé de «ficher» ces mêmes musulmans et d’obliger ces derniers à porter un signe distinctif. Allô, 1934…
Mais tant mieux, me dis-je. Le con s’est enfin planté. A finalement traversé la ligne. Ciao bye. Sauf que non. Au contraire. Quelques temps à peine après avoir balancé ces idées clairement fascisantes (vous avez un autre mot, vous?), les sondages étaient unanimes: les appuis à Trump étaient en hausse. Et là, à ce moment précis, j’ai enfin compris ce qui se passait: rejet des institutions, écroulement de l’État de droit et victoire ultime du populisme. Une fracture, aux allures exponentielles, entre la population et ce qu’elle considère comme les «élites». Ce sentiment fataliste assumé allait trouver écho, quelque temps plus tard, dans la victoire de Trump.
Et depuis? De pire en pire, évidemment. Une visite en Californie, l’été dernier, a d’ailleurs eu pour effet d’annihiler, chez moi, tout espoir. Un décrochage intellectuel. Des fausses nouvelles comme néoparadigme. Un monde parallèle créé de toutes pièces. La science qui fout le camp. La démagogie érigée en statue.
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Facile, bien entendu, de penser que le problème est essentiellement américain ou, pire des cas, également européen. Que le Canada se veut à l’abri de tels dérapages. Que sa démocratie et son État de droit, robustes, vaincront le populisme ambiant. Pas sûr de ça.
Peu de temps après, François Legault, potentiel prochain premier ministre du Québec, se déclare satisfait d’être comparé à Trump. Sans farce. Peu de temps après ressurgit son idée, combien infecte, de test des valeurs. On déportera quiconque sera incapable de réussir un test aussi clownesque qu’arbitraire, que le principal intéressé est d’ailleurs incapable de définir. Ça promet.
La récente victoire de Ford, en Ontario, ne fait que confirmer la tangente empruntée. De la bière à une piasse comme promesse massue. Sérieux. Même du temps de mes engagements au sein de conseil étudiant, jamais nous n’aurions pensé proposer un truc du genre, histoire de se préserver un peu de crédibilité. Ben pas lui. Et on parle du premier ministre de la province la plus importante.
Andrew Scheer? Possiblement le prochain premier ministre canadien. Un créationniste affiché et assumé. Dieu aurait créé la Terre. Vive la science.
La prochaine étape, selon vous?