Chronique: l’égoïsme des non-vaccinés
Sachant la fumée secondaire tout autant nocive que le tabagisme, l’État en est venu à protéger… les autres. Comment? En limitant l’exercice d’un droit individuel. De toutes les manières possibles.
Dix-huit mois, temps plein, à parler de la même affaire. De quoi virer fou. Souhaiter changer de job. Devenir frotteur de coques de bateaux, tiens. Dans le Sud, si possible. Pour paraphraser Aznavour: «Il me semble que la bêtise serait moins pénible au soleil.»
Je réfère, évidemment, à la pandémie. Ou plutôt à la lutte, interminable, contre celle-ci. Au moment d’écrire ces lignes, nombre de révolutionnaires de la gouttelette contaminante venaient de manifester devant les hôpitaux. D’autres, peu avant, avaient fait de même devant des… écoles primaires. Idem, cet été, devant le Stade olympique, afin d’intimider le personnel de la santé, voire l’empêcher de vacciner les volontaires. Tout ça au nom de la libârté.
Suffit d’ailleurs de défendre la constitutionnalité de la vaccination obligatoire pour constater à quel point la violence de la contre-attaque est souvent inouïe. Devenus en l’espace de quelques mois constitutionnalistes, les récalcitrants de l’aiguille s’affairent à descendre sur la place publique, ou encore par messages privés, quiconque ose plaider l’inverse de la doxa adoptée.
Au-delà des sparages et de l’artifice, qu’en est-il de la constitutionnalité? Rappelons l’évidence: aucun droit ou liberté individuelle ne peut être considéré comme étant absolu. La violation de ceux-ci mène, au bout du compte, à un jeu de pondération par le tribunal. En bref: la violation en question peut-elle être rachetée dans le cadre d’une société libre et démocratique? Dit autrement, les intérêts collectifs, soit la lutte à la pandémie, doivent-ils primer sur la violation de la liberté individuelle? À première vue, la balance penche aisément d’un côté, celui du oui.
Faisons le test de manière plus détaillée. Forcer la vaccination chez le personnel de la santé ou les citoyens viole leur droit à l’intégrité physique, laquelle est protégée par les chartes. Passons le volet plus technique de la conformité aux principes de justice fondamentale, énoncé dans la Charte canadienne des droits et libertés, et allons directement à ce qu’on appelle communément le test d’Oakes, ce dernier visant justement à procéder au jeu de pondération annoncé entre les libertés individuelles et les droits collectifs. Celui-ci établit quatre critères, qui doivent être unanimement respectés par l’État fautif.
La mesure normative poursuit-elle un objectif réel et urgent? Ici, pas de doute que venir à bout de la pandémie maudite constitue, et c’est un euphémisme, un objectif du genre. Étape franchie.
Existe-t-il un lien rationnel entre la mesure, i. e. la vaccination obligatoire, et l’objectif ci-haut? Malgré ses méandres et ses limites, merci aux variants, il est incontestable que seule une couverture vaccinale optimale nous sortira du merdier actuel. Étape franchie, donc.
L’atteinte au droit visé est-elle minimale? Si les deux premières questions ci-haut sont simples, celle-ci offre un obstacle plus costaud: qu’un individu choisisse entre son job et son droit à l’intégrité peut-il être considéré comme une atteinte relative? Et qu’en est-il si l’État brime ce droit dans le but ultime du bien commun? Si ce critère est assurément plus complexe et délicat par sa nature, il m’est d’avis que les tribunaux, du fait de l’incapacité de s’en sortir autrement, opteront ou opteraient, ici encore, pour la défense des intérêts collectifs et du bien commun.
Le présent exercice présente-t-il une certaine proportionnalité? L’État tente-t-il, dans les faits, d’assassiner une mouche à l’aide d’un bazooka? Compte tenu de l’increvabilité du virus ambiant, l’étape est franchie, ici également.
Alors voilà.
Un autre exemple des limites du mouvement J’ai l’doua!? La lutte relativement récente au tabagisme. Sachant la fumée secondaire tout autant nocive, l’État en est venu à protéger… les autres. Comment? En limitant l’exercice d’un droit individuel. De toutes les manières possibles. Par exemple en chassant la fumée des lieux publics. Au nom de quoi? Des intérêts… collectifs. Qui douterait, en rétrospective, du bien-fondé de ces mesures?