Lolita n’est pas celle que vous croyez

Paméla Dumont et Sylvio Arriola répètent la pièce « Lolita n’existe pas », présentée au théâtre Denise-Pelletier dès le 4 octobre.
Paméla Dumont et Sylvio Arriola répètent la pièce « Lolita n’existe pas », présentée au théâtre Denise-Pelletier dès le 4 octobre. Photo: Gracieuseté, Patrice Tremblay

Avec sa pièce Lolita n’existe pas (présentée au Théâtre Denise-Pelletier dès le 4 octobre), l’autrice féministe Paméla Dumont s’accapare du concept de la lolita, nymphette sexy et concupiscente, pour donner la parole à une jeune fille qui n’y a jamais eu droit dans le roman l’ayant façonnée. 

Paméla avait lu, adolescente, le célèbre roman éponyme de Vladimir Nabokov, paru en 1955, écrit au « je » sous la forme du journal intime d’un intellectuel d’âge mûr fantasmant sur une jeune adolescente, succès planétaire que Stanley Kubrick a par la suite adapté au cinéma.  

Ces œuvres ont cristallisé dans l’imaginaire collectif le concept de la lolita. Or, l’adolescente concernée, elle, n’est jamais la narratrice de cette histoire, régie par une perspective masculine (le male gaze).  

« Par sa grande beauté littéraire, le roman de Nabokov a réussi à berner le sens critique des gens », expose en entrevue la créatrice de 29 ans en pleine période de répétition. 

Tenue archi-féminine en dentelle, noms de restaurants, titres de chansons : « La culture pop s’est emparée de cette image en la glamourisant à fond la caisse », dénote Paméla — image qu’elle s’est attelée à déconstruire. 

Paméla Dumont, autrice de la pièce « Lolita n’existe pas »
Paméla Dumont, autrice de la pièce Lolita n’existe pas. Photo : Ariane Labrèche

De l’enlèvement de Sally Horner à Lolita  

Dans le roman, « l’auteur décrit les choses de façon très romantique. Je me souviens avoir ressenti du désir et du dégoût de manière très, très proche », dit Paméla, estimant ne pas avoir eu le jugement critique à l’époque pour décrypter la propension éphébophile de l’homme.  

Puis, adulte, lors d’une phase où elle a englouti la filmographie de Kubrick, elle a vu son film Lolita. Et ce personnage de jeune adolescente ne l’a jamais quittée, restant en filigrane dans ses pensées alors qu’elle étudiait en théâtre.  

Puis, un livre d’enquête l’a chamboulée : The Real Lolita – A Lost Girl, an Unthinkable Crime, and a Scandalous Masterpiece de Sarah Weinman, publié en 2018.  

La journaliste américaine relate le fait divers (inconcevable, comme l’indique le titre de l’ouvrage) ayant inspiré Lolita : l’enlèvement en 1948 d’une enfant de 11 ans, Sally Horner, par un quinquagénaire s’étant fait passer pour un agent du FBI après qu’elle eut commis un vol dans un dépanneur. Il la gardera jusqu’en 1950. 

« Quand l’enquête est sortie, j’ai pleuré pendant trois jours. Ç’a été un coup de découvrir ce qui est arrivé à cette jeune fille, se remémore Paméla. Ce n’est pas vraisemblable, mais c’est arrivé pareil! » 

L’illumination l’a alors frappée : la jeune fille devait se retrouver sur scène. 

Ce qui me troublait, c’est qu’elle n’ait pas de voix. L’œuvre lui empêche d’avoir une agentivité, une complexité, une dimension plus profonde. Il faut qu’elle existe dans tous ses paradoxes. Qu’on ait accès à elle comme humaine.

Paméla Dumont, autrice de Lolita n’existe pas 

À ses yeux, Sally Horner a été doublement, voire triplement victime : d’abord de son époque, « dans les cas d’agression ou de séquestration, il ne fallait pas que tu en parles, tu n’avais pas de ressources psychologiques ». Sans compter qu’on lui a fait porter la faute de son enlèvement — « elle s’est beaucoup faite “slut-shamer” [culpabilisée en se faisant reprocher un comportement sexuel] par après », affirme Paméla. Puis, alors qu’elle frisait les 16 ans, elle a péri dans un accident de voiture au côté du garçon « qui aurait pu être son premier amour, et qui, lui, a survécu », raconte-t-elle. 

« Elle est morte presque trois fois : d’une manière symbolique avec son enlèvement ; de manière publique par le traitement, notamment médiatique, qu’elle a reçu ; et physiquement. Elle n’a donc jamais eu le temps de prendre la parole », relève Paméla.  

Paméla Dumont et Sylvio Arriola en répétition de la pièce « Lolita n’existe pas ».
Paméla Dumont et Sylvio Arriola en répétition de la pièce « Lolita n’existe pas ». Photo : Patrice Tremblay

Deux inconnus sur la route d’Atlantic City 

L’enlèvement de Sally Horner a donc inspiré la prémisse du récit que signe Paméla, un huis clos psychologique qu’elle situe, sans l’expliciter sur scène, quelque part dans les années 2000, avant les élections de Donald Trump aux États-Unis, nous indique celle qui incarne également l’adolescente, le personnage lui tenant trop à cœur pour ne pas l’interpréter. 

Jamais les protagonistes ne sont nommés. « Elle », 14 ans, suit un inconnu de très loin son aîné, « Lui » (campé par Sylvio Arriola), sur la route d’Atlantic City, le décor en bois évoquant les quais de cette destination balnéaire.  

La route, de prime abord gage de liberté aux yeux de l’adolescente, devient un étau qui se resserre sur elle.  

Il n’est pas nécessaire de connaître Lolita pour apprécier la pièce, fait observer Paméla, « on suivra simplement alors une histoire riche en rebondissements ». 

« Elle » n’est pas Sally  

Toutefois, l’autrice tient à le souligner : son personnage n’est pas Sally Horner.  

Jamais je n’aurais la prétention de raconter son histoire. Je pense que c’est une violence de faire ça à quelqu’un qui n’a pas pu parler.

Paméla Dumont, autrice de Lolita n’existe pas

Le fait de désigner son personnage par un pronom lui permettait de ne pas l’identifier à ce fait divers précis, mais plutôt d’évoquer les nombreuses victimes d’enlèvement. 

Une question nous taraude : qu’est-ce qui pousse la jeune fille à suivre en road trip cet étranger? « Je voulais faire une jeune fille ayant une liberté, je n’aime pas dire ça, mais un peu masculine. Elle ne se regarde pas trop aller. Elle est impulsive. Elle a la fougue de l’adolescence, une intensité au premier degré. Ce n’est pas la décision d’une adulte qui réfléchit aux conséquences. »  

En guise de clin d’œil au concept de la lolita, Paméla lui a attribué « la drive dont on s’attend d’une lolita, qui a l’air d’avoir une confiance en elle inébranlable ».  

Face à cette dynamique tordue, les spectateur·rices seront appelé.e.s à remettre en question les rapports de pouvoir et leur propre conception du consentement. « On fait confiance au sens critique des gens. Il n’y a pas de leçons, on est au théâtre. J’aime l’idée que les gens vont venir avec leurs préjugés, parce qu’on est tout le temps plein de préjugés! rigole-t-elle. Et on va en jaser après. »  

Lolita n’existe pas 
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est 
Du 4 au 22 octobre 

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