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Déclin démographique ou protection du français, il faut choisir

Le ministre fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser.
Le ministre fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser. Photo: Archives, Adrian Wyld/La Presse canadienne

François Legault a laissé entendre mercredi que les seuils d’immigration pourraient être revus à la hausse si son gouvernement parvenait à accueillir plus de francophones. Cela pourrait néanmoins poser un enjeu dans la préservation de la part de Québécois dans le Canada.

Des experts considèrent que le nouveau seuil d’immigration du gouvernement fédéral, qui souhaite accueillir 500 000 nouveaux résidents permanents en 2025, est un danger tant pour la protection du français que pour le poids démographique du Québec au sein du Canada. À titre comparatif, la cible d’immigration avait été fixée à 431 000 au Canada en 2022. En 2023 et en 2024, les seuils d’immigration seront de 465 000 et 485 000 nouveaux arrivants. 

Cette politique d’immigration entraîne «l’accélération de [la] minorisation démographique [du Québec] au sein du Canada», conclut l’économiste Pierre Fortin, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dans un rapport remis en 2022 au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec (MIFI).

En outre, il croit que «la perte de contrôle de sa politique d’immigration permanente, et le risque d’un recul important de la francisation de sa
population immigrante» seraient inévitables.

C’est d’ailleurs un des constats qui pousse le premier ministre François Legault à affirmer «qu’actuellement, il y a une baisse chaque année du pourcentage de Québécois qui parlent français. Il faut trouver le moyen, dans les 50 000, d’en avoir plus qui parlent français. Une fois qu’on aura atteint cet objectif-là, bien, on pourra se [demander]: est-ce que c’est possible d’accueillir plus d’immigrants francophones?»

Le double du seuil de la CAQ

Selon l’accord entre Ottawa et Québec, la part de nouveaux arrivants accueillis par la province au sein des 500 000 visés par le fédéral devrait être égale à son poids démographique dans le Canada.

«Si les accords étaient appliqués à la lettre, le gouvernement devrait en recevoir environ 110 000. La métropole en accueille habituellement 80%, donc [elle] devrait en avoir 88 000», évalue Brahim Boudarbat, économiste et spécialiste de l’intégration des immigrants au marché du travail au sein de l’Université de Montréal (UdeM).

Un chiffre bien loin du seuil de 50 000 nouveaux immigrants par an souhaité par la Coalition avenir Québec (CAQ). Si le Québec s’en tient à ce nombre, «ceux que [la province] ne va pas recevoir vont aller ailleurs au Canada». Selon les données de Statistique Canada, le Québec perd à peu près un point de pourcentage de poids démographique par décennie. «Ça va s’accélérer encore plus», prédit M. Boudarbat.

On veut protéger le français, mais d’un autre côté il devient dilué au niveau du Canada. Si le Québec reste fermé à l’immigration, il permet aux autres provinces de s’agrandir beaucoup plus vite avec des immigrants qui ne parlent pas français.

Brahim Boudarbat, économiste et spécialiste de l’intégration des immigrants au marché du travail

Taux de natalité faible

Avec ce nouveau seuil décidé par Ottawa, «on ne peut vraiment rien faire» contre cette baisse du poids démographique, insiste Marc Termote, démographe spécialiste en sciences de la migration.

Pourtant, l’expert en démolinguistique l’affirme: «Ce sont les immigrants qui vont sauver le français.» Mais ceux-ci ne permettraient que de freiner son déclin, sans pouvoir l’arrêter.

Ce dernier pointe le faible taux de natalité. «À Montréal, les francophones font 1,2 enfant par femme. Pour garder le nombre de francophones constant, il devrait être de 2,1», explique le démographe. Le chercheur est cependant bien conscient qu’«on ne peut pas demander aux femmes» de «faire la job». «Une politique nataliste serait injustifiée socialement et éthiquement», glisse-t-il. 

Avec un brin de pessimisme, il répète sans détour que «quel que soit le scénario, aucun ne ralentit, ou très peu, la baisse du poids des francophones» non seulement dans le Canada, mais aussi au Québec.

Accueillir plus d’immigrants, conserver son poids démographique et sauvegarder la langue française, «il y a une possibilité de concilier les trois», entrevoit Brahim Boudarbat.

Franciser avant l’arrivée

Selon les données du recensement, plus de 70% des immigrants au Québec parlent le français. «On voit quand même qu’il est possible d’aller chercher plus d’immigrants» francophones, sur le continent africain ou en France principalement. Cela reviendrait cependant à se priver de francophiles venus d’Asie ou d’Amérique latine. D’autant que le Québec ne sélectionne qu’environ la moitié des immigrants qui s’y installent.

«C’est ces gens-là qu’il faut viser en premier. Il faut les franciser, c’est sûr que ça nécessite beaucoup de moyens», tempère l’économiste. D’autant que la connaissance du français associée à celle de l’anglais «améliore les opportunités d’intégration économique».

José Israel Reyes, qui présélectionne et aide des travailleurs qualifiés à rejoindre le Québec par le biais de son entreprise Talent Actif Continental, est bien au fait de l’enjeu. «Il faut s’assurer qu’ils ont l’intérêt réel d’apprendre le français. […] Ça passe par la volonté des gens et [par le fait] de se préparer avant l’arrivée. Si on a déjà des bonnes bases de français, ça va être plus facile», estime-t-il.

En entrevue avec Métro, une source gouvernementale au MIFI indique que le gouvernement est bien conscient des enjeux liés à l’accueil de plus d’immigrants. «On étudie différentes solutions, rien n’est écarté», indique-t-elle. Mais la CAQ veut tout d’abord s’assurer d’accueillir une plus grande part d’immigrants francophones.

Cela pourrait, comme le suggèrent plusieurs experts, passer par la rétention d’immigrants temporaires qui se sont ainsi déjà intégrés à la société québécoise. Conjuguer protection de la langue française et sauvegarde du poids démographique du Québec au sein du Canada semble toutefois extrêmement difficile.

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