Montréal, pionnière du disque et des ondes
Saviez-vous que Montréal au début du 20e siècle, en plus d’être un fort lieu de musique, est aussi une des plaques tournantes mondiales de l’industrie du disque? Situé en plein cœur de Saint-Henri, le peu connu Musée des ondes Émile Berliner offre la chance aux visiteurs de découvrir comment les inventions et l’expertise de la famille Berliner en matière d’enregistrement et de distribution de disques en plus des ondes radio ont donné à Montréal une réputation de «créatrice de vedettes».
«À la grande différence du phonographe, inventé par Thomas Edison, le gramophone, développé et breveté par Émile Berliner, permet la production et la distribution de masse de disques, explique la directrice du Musée des ondes, Anja Borck. Ce nouvel appareil vient en quelque sorte démocratiser l’industrie de la musique puisque les gens pourront désormais avoir accès à des disques de très bonne qualité faits ici et exportés par la suite.»
Le disque à Montréal
Aux prises avec des problèmes juridiques concernant la production de son gramophone, Émile Berliner déménage son entreprise des États-Unis à Montréal et fera construire une manufacture à Saint-Henri, sur la rue Lenoir tout près de la rue Saint-Antoine, aujourd’hui le Musée des ondes qui porte son nom. Le choix de Montréal était loin d’être anodin.
«Émile Berliner a établi son usine à Montréal pour deux raisons. La première est qu’il avait déjà inventé le microphone pour le téléphone d’Alexander Graham Bell, qui avait une usine sur la rue de l’Aqueduc, maintenant Lucien-L’Allier. La deuxième est qu’il y avait une ligne ferroviaire directe entre Montréal et Washington, un endroit où il aimait particulièrement vivre. Avec cette ligne de chemin de fer passant par-dessus le fleuve grâce à la «huitième merveille du monde» qu’est le pont Victoria, il peut voyager rapidement à Montréal sans jamais y résider de manière permanente.»
Ce déménagement à Montréal coïncide avec le perfectionnement de la production de disques parallèlement à l’amélioration de la qualité des gramophones fabriqués par l’entreprise de son partenaire américain Edward Johnson, soit la Victor Talking Machine Company. Cette industrie explose au début du 20e siècle et Berliner passe de 2000 disques à plus d’un million annuellement. Il établira d’ailleurs un point de vente de gramophones au 2315, rue Sainte-Catherine.
«Émile Berliner pouvait pour la première fois créer des vedettes musicales internationales grâce à ses méthodes avancées de production de disques, accélérant ensuite la distribution. Bien qu’il était possible d’enregistrer de la musique partout, les gens envoyaient leurs enregistrements à Montréal chez Émile Berliner pour obtenir des disques de très bonne qualité, ce qui a popularisé plusieurs artistes par la qualité du son et de la production.»
Une approche locale
Au début des années 1920, c’est plutôt Herbert S. Berliner, le fils d’Émile Berliner, qui contribue le plus activement à l’industrie de l’enregistrement à Montréal en améliorant les techniques développées par son père pour demeurer à la fine pointe de la technologie. C’est aussi à ce moment qu’Herbert Berliner se dissocie de son père en fondant sa propre entreprise d’enregistrement à Lachine, nommée Compo Company Limited.
Plutôt que de focaliser sur la musique américaine, très prisée à l’époque, Herbert Berliner décide de puiser dans les talents montréalais et d’enregistrer des artistes locaux dans sa nouvelle usine. Il a permis à plusieurs chanteurs et musiciens de pouvoir exporter leurs disques, tels que Rodolphe Plamondon, Isidore Soucy et même, La Bolduc, augmentant leur visibilité ainsi que celle de la culture canadienne-française.
«On peut vraiment voir la distinction à ce moment entre les compagnies d’enregistrement américaines et canadiennes. Une réelle identité canadienne émerge à ce moment, et Herbert Berliner est un pionnier en la matière, bien qu’il demeure toujours inconnu du grand public. C’est pour cela qu’on a développé une exposition temporaire sur lui, nommé Herbert S. Berliner et l’essor de l’industrie canadienne du disque, couvrant son rôle majeur dans l’industrie de la musique canadienne et son rayonnement international.»
Le premier satellite canadien à Montréal
Mme Borck précise que le bâtiment où se trouve le musée n’est pas seulement important pour l’industrie du disque. Il est aussi vital pour le développement de la technologie du satellite, une nouvelle voie qu’a empruntée Émile Berliner dans les années 1920 après la fin de son monopole en matière de production de disques et avant sa mort, en 1929.
«En 1929, l’entreprise d’Émile Berliner se fait approcher par celle de la radio RCA-Victor (Radio Corporation of America) de son partenaire Edward Johnson dans le but de développer davantage la technologie de la radio dans le secteur du divertissement. Après avoir fusionné, l’usine accueille un laboratoire secret durant la Deuxième Guerre mondiale, et les résultats obtenus dans ce laboratoire ont permis de générer du savoir et du matériel qui ont ensuite mené à la création d’un satellite redistribuant efficacement les ondes pendant une longue période dans l’espace.»
La directrice du musée précise que le Canada a pu se distinguer de ses homologues américains et soviétiques de l’époque en créant un satellite à des fins purement commerciales et non militaires. Sans la contribution d’Émile Berliner et la série d’événements qui ont mené jusqu’à son implication dans les ondes, elle soutient que le Canada n’aurait pas pu lancer son premier satellite en 1962. Émile Berliner est décédé quelques années plus tard, en 1966.
Le Musée des ondes déménage actuellement son exposition à l’intérieur du même bâtiment pour avoir plus d’espace et accueillir davantage de visiteurs. Il sera complètement opérationnel à partir du mois de juin, et invite les curieux et les amateurs de musique à venir en apprendre davantage sur l’histoire montréalaise du disque et des ondes radio.
De Peterson à Céline Dion
En 1936, Émile Berliner décide d’installer un studio d’enregistrement au sein de son usine, faisant partie alors de la RCA-Victor. Jouissant d’une excellente réputation dans les années 1940, ce studio a accueilli des artistes jazz connus internationalement tels qu’Oscar Peterson et Oliver Jones. La rumeur voudrait que Céline Dion ait été enregistrée dans le studio par l’entremise de René Angélil.