Servir les personnes en situation d’itinérance, où qu’elles soient
Vendredi, 9h, devant la Mission St-Michael. Des personnes en situation d’itinérance font la file pour rencontrer les intervenants et l’infirmière qui les accueillent sous l’auvent d’une fourgonnette blanche stationnée. Le véhicule, faisant office de clinique mobile, sillonne depuis avril les rues de Montréal pour venir en aide aux personnes vulnérables, où qu’elles soient.
«Le but c’est d’offrir les services des refuges, mais à l’extérieur des refuges, pour la clientèle qui ne veut pas y aller», lance le responsable de projet à la Mission Old Brewery, Sébastien Dussault.
Fruit d’un partenariat entre la Mission, l’Accueil Bonneau et TELUS Santé, il s’agit de la première initiative du genre au Québec. Des intervenants psychosociaux opèrent la clinique en tout temps, tandis que des infirmières et des accompagnateurs de la Clinique juridique itinérante sont présents une journée par semaine.
Soins de santé, soutien dans des démarches administratif (notamment pour des déclarations de revenus et des demandes d’adhésion à la RAMQ), référencement pour divers programmes d’aide ou de logement: «cette équipe-là est capable de tout faire», souligne M. Dussault.
Quand tu ne maîtrises pas Internet ou que tu n’as pas de cellulaire, faire une démarche gouvernementale, ça devient compliquer.
Sébastien Dussault, responsable de projet à la Mission Old Brewery
La clinique mobile se déplace partout sur l’Île de Montréal, passant notamment par le Plateau Mont-Royal, Lachine et Montréal-Nord, pour soutenir les travailleurs de rue et aux organismes qui s’y trouvent déjà. «L’idée c’est d’être complémentaire […], de combler un trou dans le réseau», explique le directeur de la Mission Old Brewery, James Hughes.
La clinique est «largement une initiative privée», note-t-il. TELUS Santé a fourni le véhicule, les équipements médicaux et une bonne partie du financement. Une levée de fonds a permis d’obtenir les fonds supplémentaires nécessaires.
L’entente avec TELUS Santé prendra fin en 2026. «On n’a pas l’intention de ne s’en aller nulle part», déclare toutefois le directeur général de l’entreprise, Martin Bélanger, au téléphone.
Conformément à sa pratique — TELUS Santé a lancé des projets similaires dans 24 collectivités du reste du Canada —, la première phase de trois ans permet d’évaluer les opérations de la clinique mobile et de se réajuster au besoin, explique-t-il.
Rétablir la confiance envers le système de santé
Dave tient les portes du métro Frontenac depuis 29 ans. L’ancien pilote de chasse dans l’armée canadienne venait visiter un de ses amis à la Mission Saint-Michael lorsqu’il est tombé sur la clinique mobile. Il en a profité pour faire examiner l’éruption cutanée qui le démangeait sur son avant-bras.
«Ce n’était pas agressant, c’était agréable», confie-t-il à Métro, prévoyant revenir s’il a d’autres enjeux de santé «On n’a pas accès à des soins sinon.»
Je n’aime pas ça pantoute les hôpitaux. Quand tu n’as pas de cartes, c’est un paquet de troubles.
Dave, un usager de la clinique mobile
La fourgonnette est divisée en deux espaces: une zone de réception des patients pour les services consultatifs et une salle de soins à l’arrière avec une table d’examen et de l’équipement médical.
Des examens physiques, des évaluations des signes vitaux et des soins de plaies y sont prodigués, explique Gisèle Poirier, infirmière. Elle est accompagnée d’étudiantes de l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill.
«Ce sont des gens désaffiliés, qui ont des réticences à aller dans le système de santé», souligne Mme Poirier. La majorité des usagers de la clinique n’ont pas de carte d’assurance-maladie, constate Métro
La clinique permet de créer des liens de confiance, se réjouit-elle. «Finalement, [les usagers] réalisent que ce n’est peut-être pas si pire que ça le système de santé.»
Une alternative au refuge
Une clinique mobile est plus pertinente que jamais, alors que l’itinérance «explose» et que les places en refuge se font rares, rappelle Sébastien Dussault. De plus, plusieurs personnes en situation d’itinérance ne sont pas admissibles en refuge, notamment puisqu’elles sont en couple, possèdent des animaux, ou sont aux prises avec des problèmes de comportements ou de toxicomanie.
«Aller dans un refuge, c’est extrêmement stressant, remarque-t-il. Pour la personne isolée qui se retrouve dans la rue, ça fait peur d’aller dans un dortoir.»
Pour Nicholas, l’intervenant de la Mission Old Brewery affecté au projet de clinique mobile, celle-ci permet aux personnes en situation d’itinérance de bénéficier des services dont elles ont besoin tout en gardant une certaine liberté, puisqu’ils n’ont pas besoin de passer la nuit en refuge.
Dans un refuge, il y a des règles à respecter, précise-t-il. Moi, mes seules règles, c’est que tu ne brises pas mon camion et que tu sois respectueux.
Nicholas, intervenant psychosocial de la clinique mobile
«À l’extérieur, ça ne brasse pas», ajoute-t-il. «Ça offre un sentiment de sécurité aux usagers ainsi qu’aux autres intervenants.»
Pour l’instant, la clinique roule du lundi au vendredi, de 9h à 17. «On espère la faire rouler 16 heures sur 24 si on a un financement de la Ville», déclare Sébastien Dussault, expliquant que la population itinérante n’est pas la même le jour et le soir.
Cet été, la clinique compte par ailleurs être deux ou trois fois par semaine dans le secteur de la place Émilie-Gamelin et dans le Village, où les enjeux liés à l’itinérance font régulièrement la manchette depuis l’automne dernier. «Les gens en situation d’itinérance sont là. Les citoyens là. Il n’y en a pas un qui est plus chez lui que l’autre, résume M. Dussault. On veut participer à ce que tout ce monde-là cohabite.»