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Un homme et sa roulotte

Photo: Archives Métro

«Y m’font chier avec leurs osties d’conneries de merde!» C’est ce qu’avait hurlé Paul Buissonneau la fois où j’avais pris le risque de lui demander son avis sur le mandat «éducatif» des émissions pour enfants de l’ère moderne. Ce n’était pas un homme frustré de ne plus être au centre de l’action qui s’exprimait ainsi, loin de là. C’était bien plus un p’tit gars d’à peu près 75 ans qui trouvait que la vie des enfants était rendue bien plate au retour de l’école. «Pauvres petits, ils passent la journée à se faire bourrer le crâne, et quand c’est fini, on leur arrache ce qui leur reste de temps libre pour leur montrer à se torcher le cul comme il faut!» Et vlan, prends ça dans la gueule mon Passe-Partout, gracieuseté de ton copain Picolo…

J’ai adoré Paul Buissonneau. Pas seulement pour ce qu’il disait – ou criait, c’était selon –, mais aussi et surtout pour ce qu’il faisait de son intarissable énergie.

Oui, il y a eu Picolo. Et le Théâtre de Quat’sous. Et les Compagnons de la chanson. Et l’Osstidcho. Et ceci et cela et tout le reste aussi. Mais moi, mon Monsieur Buissonneau, c’est avec sa Roulotte des parcs qu’il m’a donné le plus. Pour comprendre l’ampleur du cadeau, faut se replacer dans le contexte. Il fut un temps où passer l’été à Montréal était ni plus ni moins qu’une longue sanction non méritée. C’était bien avant les Festival de Jazz, Juste pour rire, FrancoFolies et autres rassemblements populaires et gratuits. Nos camps de jour se passaient dans nos cours ou nos ruelles et les visites tant souhaitées à La Ronde ou au parc Belmont n’avaient malheureusement rien d’habituel…

En plus de puer l’odeur des raffineries en plein mois de juillet, l’est de Montréal était loin comme le yâbe. Pas plus fou qu’un autre, même le métro arrêtait à Frontenac. Ce qui fait que, pour nous, voisins du parc Bellerive, la visite de la Roulotte représentait littéralement LE show de l’été, pour ne pas dire de l’année, point. C’est ainsi qu’à la fin des années 1960, début des années 1970, j’ai vu – sans les connaître encore – des jeunes Gabriel Arcand, Julien Poulin, Robert Gravel et Yvan Ponton venir jouer les saltimbanques dans la caravane à Buissonneau. Si je ne me souviens pas parfaitement des spectacles, jamais je ne vais égarer ces polaroïds d’un instant qui sont toujours enfouis dans ma tête. Avec du monde, plein de monde assis par terre sur des couvertes. Et des sacs de chips Duchesse et l’épouvantable goût du Coke coupé avec de l’eau que je partageais avec ma petite sœur. Ma mère disait que c’était pour nous éviter d’avoir le hoquet. Me semble… Là, devant nous, au beau milieu de mes souvenirs les plus fous et rendus trop flous, il s’était passé de quoi. Enfin de quoi. Ce qui devait durer à peine l’espace d’un moment m’habite encore, à mon grand étonnement, depuis tout ce temps.

Quand j’ai appris sa mort dimanche, j’ai écrit à mes amis qu’un fabuleux fou furieux venait de monter directement au ciel. Sans le savoir, en deux mots, je venais de résumer TOUT ce que ce monsieur-là représentait à mes yeux. Furieux comme dans ses colères aussi grosses que ses clins d’œil. Et fou parce qu’il fallait l’être un peu pour aller virer aussi creux dans l’est pour nous faire jouer de sa machine à rêver.

Monsieur Buissonneau, la gang du parc Bellerive vous dit un gros merci. Une chance que vous passiez dans le coin une fois par été parce que nous, franchement, on se demandait même si on existait pour vrai parfois.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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