Plus d’experts, moins d’élus dans les CA des sociétés de transport
Les sociétés municipales de transport pourraient être chapeautées par des conseils d’administration (CA) composés majoritairement d’experts indépendants plutôt que d’élus, comme c’est le cas à l’heure actuelle. C’est du moins l’intention du ministre des Transports, Robert Poëti, qui souhaite inclure des dispositions à cet effet dans son projet de loi 76 sur la gouvernance des transports en commun dans la région métropolitaine.
«Je vais permettre, dans ce projet de loi, aux neuf sociétés de transport existantes de se doter d’un conseil d’administration [composé] aux deux tiers d’experts indépendants, a-t-il indiqué en entrevue à Métro. Je ne l’ai pas mis dans le projet de loi, mais il me semble que certaines sociétés veulent faire cela ou auraient intérêt à le faire.»
M. Poëti n’a pas précisé le mécanisme qui permettra aux sociétés de transport d’être administrées par une majorité d’experts indépendants. Il a confié être en réflexion sur plusieurs aspects de son projet de loi, qui a été étudié en commission parlementaire la semaine dernière.
Le projet de loi 76 vise entre autres à remplacer l’Agence métropolitaine de transport (AMT) par deux nouveaux organismes, soit l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui sera responsable de la planification et de la tarification, et le Réseau de transport métropolitain (RTM), qui sera responsable de l’exploitation des trains et des lignes de bus. Il est pour le moment prévu que ces organismes seront administrés par des conseils d’administration constitués aux deux tiers par des experts indépendants, comme le prévoit la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État.
Or, les sociétés municipales de transport sont actuellement dirigées par des conseils d’administration qui réunissent une majorité d’élus. Dans la région de Montréal, ces derniers sont nommés par le conseil d’agglomération ou le conseil de ville, dans le cas de la Société de transport de Montréal (STM) et du Réseau de transport de Longueuil (RTL), et par la Ville pour ce qui est de la Société de transport de Laval (STL). Des représentants des usagers complètent la composition de ces conseils d’administration.
Après une analyse de tous les procès-verbaux des séances des conseils d’administration de la STL, de la STM et du RTL tenues depuis le début de l’année, il appert que la presque totalité des décisions qui y sont prises le sont à l’unanimité. À de très rares occasions, à Laval et à Longueuil, les décisions sont prises à la majorité.
À titre de président de la Communauté métropolitaine de transport, le maire de Montréal, Denis Coderre, a souligné l’apport des élus au sein des sociétés de transport lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 76, notamment en termes d’imputabilité et de représentativité. Il a du même coup demandé qu’une majorité d’élus administrent le futur RTM. Le ministre Poëti a avoué y réfléchir. Il a toutefois précisé que la présence majoritaire des experts au sein de l’ARTM était «non négociable». Projet Montréal a dit craindre que la nécessité de nommer des experts entraîne des nominations partisanes.
Ce qu’en pensent les experts
Michel Nadeau, directeur général de l’Institut de la gouvernance d’organisations privées et publiques
L’absence d’opposition dans un conseil d’administration n’est pas le signe d’une bonne gouvernance, d’après M. Nadeau. «Si vous cherchez toujours des décisions consensuelles, vous vous confinez à l’immobilisme, a-t-il mentionné. Évidemment, il ne faut pas prendre des positions à 51% contre 49%. Il faut avoir les deux tiers ou les trois quarts des votes.»
M. Nadeau propose plutôt que les élus soient responsables de définir les grandes orientations des sociétés de transport au sein d’un comité lié au conseil municipal et que des gestionnaires et des usagers, qui siègent aux conseils d’administration, prennent en main les affaires courantes.
«Actuellement, à Laval, à Montréal et à Longueuil, il y a des élus qui prennent beaucoup de décisions sur l’huile à graissage pour les roues arrière des autobus, a dit M. Nadeau. Pour l’élu, ce n’est pas évident. Ce sont des discussions très concrètes et très pratiques, que des gestionnaires pourraient avoir.»
Gérard Beaudet, professeur d’urbanisme à l’Université de Montréal
M. Beaudet est d’avis qu’une plus grande présence d’experts indépendants dans les conseils d’administration des sociétés de transport serait pertinente. «Les experts ont une distance vis-à-vis les sensibilités politiques qui empêchent parfois que les vrais enjeux soient traités», a-t-il expliqué. M. Beaudet s’attend toutefois à une levée de boucliers des élus, comme cela a été le cas des maires des couronnes, qui argueront que «les processus décisionnels leur échapperont».
Florence Junca-Adenot, professeur d’études urbaines à l’UQAM
«On mérite d’avoir un équilibre entre des experts et des élus», a pour sa part avancé Mme Junca-Adenot. Elle a expliqué que des voix s’éléveront pour une présence soutenue d’élus, puisque des fonds publics sont engagés, alors que d’autres seront en faveur d’une majorité d’experts en mesure de mieux répondre aux besoins des usagers.