Le devoir de mémoire
L’autre soir au Gala Artis, quand on a présenté le numéro qui nous rappelait le départ des grands disparus de l’année, on a constaté avec stupeur l’absence du dramaturge Marcel Dubé. Moins de deux semaines après son décès, ça fait plus qu’un peu dur, mettons… Que ce soit par négligence, par erreur ou à cause de l’ignorance la plus crasse de l’importance du personnage et de son œuvre, cet impair tombe automatiquement dans la catégorie de l’impardonnable.
Cet épisode d’amnésie est d’une infinie tristesse. Pour les proches du défunt, bien entendu, mais aussi pour nous en tant que collectivité. Parce qu’il souligne, d’un trait bien gras, à quel point nous sommes mal foutus quand vient le temps de comprendre et de reconnaître ce que nous sommes. De quoi nous sommes faits. Après ça, on viendra dire que notre culture est menacée par l’afflux de ceux et celles qui viennent d’ailleurs pour s’établir ici. La preuve est faite et elle se répète sans cesse : on est parfaitement capable de s’oublier soi-même comme des grands. Ou comme des petits…
Pas moi qui l’a inventé, celle-là : comment savoir où on s’en va si on n’a pas la moindre idée d’où on vient? En passant, ce n’est pas le gouvernement Couillard qui va améliorer notre condition à cet égard : aucun représentant officiel n’a été délégué pour assister aux obsèques de l’auteur, samedi dernier. Je n’en rajouterai pas, tout est là…
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Quel bonheur de voir Pierre Lapointe s’emporter à Tout le monde en parle l’autre soir, quand il est revenu sur le torpillage du concept original de son émission Stéréo Pop, une vitrine musicale morte de sa belle mort après seulement une demi-saison à l’antenne de l’auguste télé d’État et dont on gardera bien peu de souvenirs.
Surtout, quelle jouissance de l’entendre dénoncer sans réserve la classification informelle des invités de la télé par A, B ou C. Cette règle non écrite qui fait qu’un invité A dont on n’a rien à cirer nous sera toujours enfoncé dans le fond de la gorge au détriment d’un invité C qui, lui, aurait de quoi de neuf à nous raconter. Foi d’ex-recherchiste, sachez que ce que Pierre Lapointe a dit est absolument vrai. On a d’ailleurs effleuré la question pas plus loin qu’ici même l’autre jour.
C’est ainsi que la télé, une plate-forme qui devrait être réservée aux artistes, est devenue au fil du temps une dompe pour une panoplie de producteurs au contenu, de responsables du contenu, de chefs de contenu, de chargés de projet, de producteurs délégués et autres parasites bien placés dans la hiérarchie du divertissement. Et que tout ce monde-là se mêle de la liste d’invités à un moment ou à un autre afin de justifier l’existence de sa job et la «ronflance» de son titre… Tout ça pour nous imposer inlassablement la même maudite gang d’invités à chaque show.
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Vu aux vues : Miles Ahead. Un biopic construit à partir d’un épisode sombre et mystérieux de la vie de Miles Davis. Peut-être que je m’attendais à plus. Peut-être que le personnage en impose tout simplement trop pour entrer dans une histoire qui doit être racontée en moins de deux heures. Peut-être que ci, peut-être que ça… Au bout du compte, peut-être qu’on méritait seulement mieux qu’un drôle de film d’action – sans trop d’action… – qui nous ramène, par bouts, presque dans l’univers des comédies policières des années 1980. Jugement final : pas ben bon.
Vu au théâtre : Last night at the Gayety, un « musical » présenté en anglais (très facile à saisir) au Centaur jusqu’au 15 mai. Un voyage dans le temps qui nous ramène au Montréal burlesque et délicieusement corrompu des années 40-50. Oui, ça existait déjà alors… Un spectacle léger, même très, très, très léger. Pour le casse-coco, faudra repasser. Tiens, pourquoi pas en profiter pour y emmener un aîné qui ne sort pas assez de la maison. Leurs occasions de sortir sont rares puis le printemps est beau…
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ENFIN ! Oui, enfin, on va avoir un train léger sur rail qui nous donnera un accès rapide au centre-ville et vers l’aéroport de Dorval. Si la nouvelle est bonne et plus que bienvenue, elle nous rappelle également à quel point nous sommes en retard sur le reste de la civilisation en ce qui a trait au transport en commun. Comme dirait l’autre, il était grandement temps.
À 5,5 milliards, le coût du projet est colossal. Et la facture devrait monter encore plus quand on ajoutera le secteur est de l’île (les lobbys sont déjà à l’œuvre) qui a mystérieusement été ignoré dans le projet de base. Après tant d’années à négliger l’entretien de nos infrastructures, à «patcher» du n’importe quoi pour montrer qu’on faisait quand même la job, ça fait du bien de voir enfin un projet u-t-i-l-e qui sera tout aussi bon pour la population des banlieues que pour la santé économique de la grande ville.
Comme quoi, l’un ne doit pas absolument toujours se faire au détriment de l’autre. Suffit que tout le monde emprunte la même voie…