Brian, si tu savais…
Dans ma discothèque, sur la tablette où je range soigneusement les statuettes de mes idoles, j’ai aligné celles de Paul McCartney, de Bruce Springsteen et de Miles Davis. À côté de celles-ci, il y en a une autre que je dois toutefois conserver sous une cloche de verre. Vu sa fragilité, elle requiert une attention toute particulière. Dans mon univers, comme dans l’univers tout court, Brian Wilson représente un cas à part. De 1961 à aujourd’hui, entre les plages de la jeunesse et sur les chemins de la sagesse, après avoir survécu à tant de vagues et à mille dépressions en tout genre, il est toujours là. Un miracle.
J’ai vu Brian Wilson en personne pour la première fois lors d’une visite des Beach Boys au Forum en 1979. Traînant aux alentours de 300 lb, la barbe longue et portant un coupe-vent bleu zippé jusqu’au cou, le portrait, je l’avoue, m’avait un peu déçu.
Quand on lui avait passé le micro pour faire son segment dans Surfer Girl, il avait poussé ce qui semblait être un rot parti de très loin. Ce fut là, en gros, son unique contribution audible à la soirée. À l’époque, disons que Brian ne filait pas trop trop…
Autour de lui, des filles en bikini lançaient des ballons de plage dans la foule. Dans ce spectacle d’un kitsch consommé, Brian était terré dans l’ombre, sous un faux palmier serti de néons. Dans cet incontestable paradoxe, alors qu’il pataugeait dans le plus foncé de sa déprime, c’était avec sa musique que tout le monde s’éclatait dans la place. Sauf lui.
Je l’ai revu une douzaine d’années plus tard, encore en compagnie des Beach Boys, à la plage de Saint-Polycarpe, en banlieue de Valleyfield. Oui oui, je sais, Saint-Polycarpe, ça ne s’invente pas… Rendu mince comme une planche de surf, beau comme à ses 20 ans… mais toujours aussi tétanisé derrière le micro. Depuis longtemps exclu de son propre groupe (en fait, c’est son psy fou furax qui l’avait littéralement coupé du monde extérieur), c’était censé être pour lui un grand soir de retrouvailles.
Pourtant, dans son regard fixe, aucune émotion n’était passée. Aucune. Une fois de plus, la joie, c’était pour les autres…
Depuis, j’ai dû revoir Brian Wilson six ou sept fois. Peut-être même davantage. Surtout en solo. Désormais accompagné par de merveilleux musiciens ayant enfin compris toute l’importance et la richesse de son œuvre. Des gens qui l’aiment. Et ça paraît. Une sorte de famille recomposée puisque ses deux frères beachboysiens sont morts depuis longtemps.
En principe, jeudi soir, ça sera la dernière fois que je verrai Brian Wilson en spectacle. Maintenant âgé de 74 ans, il a bien mérité de rentrer dans ses terres – ou sur ses plages – après avoir célébré, un peu partout dans le monde, le 50e anniversaire de l’album Pet Sounds. Une œuvre majeure, incontournable et utile pour quiconque part à la recherche du bonheur.
Jeudi soir, Brian et moi, on se retrouvera encore une fois dans le même lieu. Peut-être pas dans le même monde mais, ça, on commence à en avoir l’habitude. C’est pas grave.
Comme le disait David Letterman lors d’une entrevue avec lui, il y a de ça déjà bien longtemps : «Brian, si tu savais…»
***
Vus au Festival de Jazz:
- Wynton Marsalis et son Jazz at Lincoln Center Orchestra. Dans un élan de respect pour la tradition. Merci au gars de son de la Maison Symphonique qui a compris qu’il fallait laisser la musique se promener en toute liberté dans la salle, presque sans aucune amplification. Tout était parfait, jusqu’à la dernière rangée du dernier balcon.
- Chick Corea, accompagné par Christian McBride et Brian Blade. Une légende, un super bassiste et un – très – grand batteur. Résultat : un grand coup en pleine gueule.
- Ian Kelly : l’ange est passé quelques fois pendant le spectacle. Il s’est même dédoublé quand Rob Lutes est venu partager deux chansons. Du grand folk d’ici. À encourager sans réserve, même le reste de l’année.
- Francisco Yates, sur la grande scène extérieure. Un passionné qui en met un peu épais mais, bon, on ne commencera pas à contingenter les offrandes enthousiastes…
- Karen Young et Coral Egan : du pur bonheur.
- Jordan Officer, sur le terrain de l’ancien Spectrum : authentique, efficace, fidèle à lui même, vous me direz quand arrêter… Jusqu’à la fin du Festival, gratisse, tard le soir.
***
Suggestion de lecture d’été : Entre la jeunesse et la sagesse – l’album de famille des sœurs McGarrigle (Flammarion). Un beau voyage qui nous ramène dans le Montréal beatnik du début des années 60. Un récit qui m’a donné envie de me renseigner sur les avancées dans le domaine de la téléportation dans le temps. Touchant.