Indépendance kurde: Oui, mais non
La démocratie n’a pas fière allure ces jours-ci: nous l’avons vu en Espagne, où la volonté catalane de tenir un vote référendaire a fait l’objet d’une violente répression.
Lundi dernier, 5 000 km plus à l’est, se tenait un autre référendum, dans le nord de l’Irak. C’est quasi à l’unanimité que les 3,3 millions de votants (93%) se sont affirmés en faveur de l’indépendance du Kurdistan. Pourtant, dans le nord irakien comme au pays de Cervantes, la volonté d’auto-détermination est brutalement rejetée par le pouvoir central.
Qui sont les Kurdes?
Équivalant démographiquement au Canada, le groupe ethnique kurde constitue le plus vaste peuple ne bénéficiant pas d’un territoire reconnu. Les Kurdes sont répartis entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran et revendiquent depuis plus d’un siècle leur indépendance.
Elle leur a été promise en 1920 dans le traité de Sèvres, puis refusée dans le traité de Lausanne trois ans plus tard. Lentement, des partis politiques séparatistes s’organisent, mais l’indépendance est leur seul point d’accord. À la division interne s’ajoute l’oppression de Bagdad, en particulier après l’accession au pouvoir de Saddam Hussein.
À l’issue de la guerre du Golfe, en 1991, le Kurdistan réussit à s’établir comme territoire semi-autonome. Des dizaines de milliers de Kurdes périssent toutefois pendant la dictature de Hussein, et plus encore se dispersent dans les montagnes au nord pour échapper aux armes chimiques et aux exécutions.
Le crescendo récent
L’invasion américaine, en 2003, détrône Saddam Hussein, mais accélère la fracturation du Moyen-Orient, avec les conséquences qu’on connaît à présent. L’instabilité a multiplié à la fois les accrochages et les coopérations avec Bagdad. Les Kurdes ont notamment participé à la libération de Mossoul, ville irakienne assiégée par le groupe armé État islamique.
Il y a quelques années, une offensive d’EI a fait battre en retraite l’armée irakienne dans la ville de Kirkuk. Les Kurdes ont alors livré une bataille à EI et ont annexé la ville, qu’ils considèrent être leur capitale spirituelle.
Mine d’or noir et important point d’exportation, la ville est au centre de l’enjeu référendaire actuel. Pas question de négocier, dit-on à Bagdad, tant que le Kurdistan revendique l’autorité exclusive sur Kirkuk. Le gouvernement kurde, dont le mandat a expiré depuis deux ans et qui a plutôt des allures d’entreprise familiale, refuse pour sa part de négocier tant que l’indépendance n’est pas reconnue aux Kurdes.
Division internationale
Les États-Unis disent craindre une fragmentation des alliances contre EI dans la région. L’Iran et la Turquie sont pour leur part inquiets d’une potentielle contamination séparatiste chez les Kurdes locaux, avec qui une paix précaire est maintenue.
À l’issue du référendum, Bagdad a suspendu les vols internationaux vers le Kurdistan et Ankara le menace d’embargo commercial. Sans importation de vivres ni exportation de pétrole, l’économie kurde – déjà alourdie par une dette de 20G$ – n’est pas viable.
La plaie béante qu’est le Soudan du Sud nous rappelle les conséquences possibles d’une indépendance bâclée : sans démocratie, la volonté d’autodétermination, qu’elle soit sud-soudanaise, kurde ou catalane, est vouée à la prise d’otage.