La diète
Depuis quelques semaines, je suis aux prises avec un problème de santé qui m’empêche de me nourrir comme à mon habitude. J’en suis donc réduit à une diète composée de ces immondes produits protéinés qu’on trouve en pharmacie, de soupes ou de liquides clairs. Je suis aussi contraint d’éviter la viande et tout ce qui est difficile à digérer. Pour moi, qui suis normalement un carnivore invertébré (si tu me permets ce trait d’esprit), cela se révèle un exercice douloureux. Mais plus le temps passe, plus je trouve que le véganisme (je dois aussi éviter les œufs et les produits laitiers) est une alternative intéressante qui peut être délicieuse. J’avoue que ce n’est pas toujours facile, mais cette épreuve me permet de réfléchir à mes comportements, à leurs conséquences sur ma santé et sur l’environnement.
Depuis ce changement d’alimentation, j’avoue qu’il m’arrive parfois d’être étendu sur mon lit, le soir, et de rêver à un monde où tous les humains auraient cessé de manger de la viande. Que cette industrie cruelle et polluante qu’est l’élevage industriel agonise et meurt! Que les vaches libérées envahissent les prairies, les plaines et les forêts. Que les cochons repeuplent les sous-bois et les montagnes. Que les canards repartent vers d’autres cieux, en laissant loin derrière eux leurs prisons d’acier.
Si ce monde existait, je prendrais la route vers l’horizon; je marcherais de par le vaste monde, sans autre objectif que d’aller; je parcourrais monts et vallées, rencontrant des gens simples et authentiques. À force de marcher, immanquablement, ma route croiserait l’une de ces bêtes redevenues sauvages: un cochon étourdi qui ne retrouve plus son chemin, un veau trop curieux qui s’est aventuré loin de chez lui, un chevreau qui ne tolère plus l’autorité parentale. Peut-être même que l’une d’elles me prendrait en adoption, fixant son pas sur le mien, partageant mon ombre, faisant route avec moi? Côte à côte, nous marcherions dans les steppes, à travers la taïga, par-delà les plateaux, nous nourrissant d’herbes, de noix, de racines et de fruits. Puis, mon compagnon à quatre pattes deviendrait vieux. Un jour, je le prendrais dans mes bras, le berçant et le réconfortant. Je le regarderais cesser d’avoir peur et de trembler. Puis son cœur s’arrêterait, doucement, mettant fin à une vie sans barrière, faite de liberté.
Et ce jour-là, crois-moi, je te préparerais le méchoui de la décennie. Je frotterais l’animal avec un genre de rub moitié moutarde de Meaux, moitié ail, puis je l’envelopperais dans une croûte de sel et d’épices. La peau caraméliserait sur le feu pendant des heures. J’accompagnerais la viande d’un somptueux chimichurri additionné d’une paume de coriandre; peut-être même aussi de quelques petites patates grelots extra-croustillantes. Et les gens des alentours se masseraient autour du feu, attirés par l’odeur de pur menoum. Et ensemble, nous partagerions ce festin et nous ririons sous les étoiles.
Tout ça pour dire que J’AI FAIM.