Omicron: sa transmissibilité, sa virulence et sa capacité à échapper aux vaccins
Grâce aux experts, nous en apprenons toujours un peu plus sur les caractéristiques de ce variant Omicron, alors que le gouvernement confirme le resserrement des mesures frontalières et déconseille aux Canadiens de voyager à l’étranger dans le but de freiner sa propagation. Qu’en est-il de la transmissibilité, de la virulence et de la capacité de ce variant du coronavirus à échapper aux vaccins?
ANALYSE – Omicron, le premier variant de la Covid-19 à avoir été élevé au rang de variant préoccupant (VP) par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en quelques jours seulement, est apparu le 8 novembre sur le radar du laboratoire Lancet en Afrique du Sud, bien qu’on soupçonne qu’il était en circulation depuis quelque temps déjà.
Grâce à leur excellent système de surveillance génomique, les autorités sanitaires sud-africaines ont signalé très tôt sa présence. Contrairement à d’autres variants, Omicron peut être détecté à l’aide d’un test PCR sans nécessiter de séquençage du génome entier, ce qui a permis de suivre rapidement sa propagation.
En date du 23 novembre, 1 100 cas du variant (73 % de tous les cas positifs) avaient été détectés dans la province de Gauteng, en Afrique du Sud, contre 10 cas enregistrés début novembre. Le 3 décembre, Omicron avait officiellement dépassé le variant Delta dans le pays.
Le taux de reproduction effectif (le nombre de personnes infectées par un seul individu) pour Omicron est estimé à plus de six, tandis que celui de Delta a été estimé à environ cinq et que celui d’une maladie très contagieuse comme la varicelle est de neuf.
Où Omicron s’est-il propagé ?
Le variant Omicron est confirmé sur tous les continents sauf en Antarctique. Les cas signalés en dehors de l’Afrique du Sud semblent pour l’instant être principalement liés à des voyages et concernent surtout des personnes vaccinées. Cependant, on craint déjà une propagation communautaire.
Les projections de nombreux pays prévoient que les cas d’Omicron vont bientôt dépasser ceux de Delta. Le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario a signalé le 12 décembre que les cas d’Omicron représentent 10 % de tous les cas positifs dans la province, ce qui confirme que le variant est hautement transmissible, même avec un niveau réduit d’activités sociales (75 % des niveaux prépandémiques).
En quoi Omicron diffère-t-il des autres variants ?
Les variants apparaissent à la suite de changements ou d’erreurs, appelés mutations, dans la séquence du génome du virus (l’ensemble des instructions génétiques du virus).
Le variant Omicron présente beaucoup plus de mutations que les autres variants dans son gène S – celui-ci code pour la protéine de spicule du virus qui constitue la clé qui permet au virus d’accéder à nos cellules. Omicron a accumulé 50 mutations, dont 32 dans le gène S. Par comparaison, le variant Alpha en a 9 dans son gène S, et le Delta, de 9 à 13.
Ces deux derniers sont plus transmissibles que la version originale, respectivement de 50 % et de 100 %, et compromettent, dans une certaine mesure, la protection offerte par le vaccin.
Il est trop tôt pour bien comprendre le variant Omicron. Les protéines étant constituées de chaînes d’acides aminés, les mutations dans le gène S entraînent des substitutions d’acides aminés qui engendrent des changements dans la protéine de spicule. Le nombre de substitutions d’acides aminés dans la protéine S d’Omicron, et le recoupement avec celles observées chez les autres variants préoccupants (VP) et variants d’intérêt (VI), font que sa protéine de spicule semble superchargée.
La protéine de spicule d’Omicron présente six substitutions d’acides aminés uniques qui n’ont pas été observées chez les autres VP, sept présentes chez un ou plusieurs VP, trois qui apparaissent chez tous les VP actuels, et les autres substitutions sont beaucoup moins présentes chez les autres variants. Les trois substitutions communes à tous les VP sont associées à un échappement immunitaire et à une transmissibilité et une capacité d’infection accrues.
Omicron est-il un «super-variant»?
En tant que scientifique, je suis déconcerté par ce variant. Comment sa protéine de spicule a-t-elle pu accumuler 32 substitutions d’acides aminés dans ce qui semble être un laps de temps très court et intégrer autant de substitutions dans une seule protéine? Cette protéine est-elle devenue la clé parfaite pour accéder à nos cellules et, en même temps, se cacher de nos anticorps? Omicron provoque-t-il des infections plus graves?
Il ne sera pas facile de comprendre quand et comment Omicron a évolué, mais il est certain que les mutations qu’il a acquises laissent les scientifiques perplexes.
Le nombre de substitutions d’acides aminés dans sa protéine de spicule est considérable. Les protéines sont assez flexibles dans leur capacité à accepter ces substitutions, qui les rendent plus efficaces. Mais cela se produit souvent au détriment du microbe (du virus, dans ce cas), car les substitutions nécessitent de l’énergie et des ressources.
D’abord, pour chaque mutation utile, une mutation compensatoire doit s’effectuer dans le gène pour que la structure de la protéine reste intacte.
Ensuite, l’existence d’un si grand nombre de mutations dans le gène S nécessiterait des modifications de la machinerie de réplication du virus pour permettre autant d’erreurs. Or, ces modifications pourraient avoir des conséquences néfastes sur la réplication du virus.
Enfin, le virus dépend des ressources de l’hôte pour fabriquer ses protéines, comme certaines molécules d’ARN de l’hôte (ARN de transfert) et des acides aminés. Ces ressources, et d’autres, peuvent ne pas répondre à la demande du virus et causer son dysfonctionnement. En d’autres termes, le virus muté peut se heurter à un problème d’offre et de demande.
Ainsi, un gène S «super-muté» risque fort de compromettre la valeur adaptative globale du virus; un autre élément doit donc être moins efficace pour permettre la production d’un gène S super-muté. Cette perte de valeur adaptative est normale dans le monde microbien. Par exemple, la résistance des bactéries aux antimicrobiens est causée par l’utilisation d’antibiotiques. Cependant, en l’absence de ces derniers, les bactéries perdent souvent cette résistance, car elle est coûteuse en énergie.
Cela laisse penser qu’Omicron pourrait être plus transmissible (comme le montrent les données actuelles) que le Delta, tout en provoquant une infection moins grave. Les données provenant d’Afrique du Sud et les cas identifiés dans le monde entier semblent indiquer qu’Omicron n’a pas été associé à des maladies graves et à des décès.
Les vaccins et l’immunité post-infection protègent-ils contre Omicron?
Les vaccins actuels ont été conçus pour protéger contre l’infection par la Covid-19, c’est-à-dire pour prévenir l’hospitalisation et la mort. Cependant, ils offrent plus, puisqu’ils permettent une réduction des infections allant jusqu’à 80 % (pour les vaccins à ARNm) et freinent la transmission.
On ne sait pas si le variant Omicron peut échapper à l’immunité, qu’elle soit induite par une infection naturelle ou un vaccin. Toutefois, une étude qui n’a pas encore été évaluée par les pairs montre que le taux de réinfection par Omicron est beaucoup plus élevé que celui enregistré lors des vagues de Beta et de Delta en Afrique du Sud.
Ce rapport semble indiquer que l’immunité acquise par des infections aux variants Beta ou Delta ne protégerait peut-être pas contre Omicron. Cette constatation pourrait expliquer l’augmentation rapide des cas d’Omicron en Afrique du Sud, où une grande partie de la population a été infectée lors des vagues des variants Alpha, Beta et Delta.
Les données sont insuffisantes pour tirer une conclusion sur la protection qu’offre l’immunité vaccinale contre Omicron. Le taux de vaccination en Afrique du Sud est d’environ 25 %. Les cas d’infections postvaccinales au variant Omicron dans le monde entier laissent penser que ce variant pourrait déjouer les vaccins en ce qui concerne l’infection.
Une infection peut être asymptomatique ou légère. Il est très probable que les vaccins protègent contre les formes graves de la Covid-19, comme l’indiquent des rapports récents (pas encore évalués par des pairs) provenant d’Afrique du Sud.
À la lumière de nombreux rapports faisant état de l’affaiblissement des anticorps neutralisants induits par le vaccin (ou par infection naturelle) avec le temps, de nombreux pays, dont le Canada, s’empressent d’administrer des doses de rappel et d’augmenter la couverture vaccinale afin de protéger leur population contre une éventuelle résurgence de la maladie.
Des études cliniques et des données réelles ont montré que les doses de rappel protègent contre l’infection et la forme grave de la maladie. Un rapport récent de Pfizer montre que l’administration d’une troisième dose pourrait modifier la trajectoire de transmission de l’Omicron.
Que va-t-il advenir d’Omicron dans un avenir proche?
De nombreux laboratoires dans le monde évaluent actuellement Omicron pour ce qui est de sa transmissibilité, de sa virulence, de la gravité de la maladie qu’il cause et de sa capacité à échapper à la protection vaccinale. Pour l’instant, on ne peut qu’attendre les résultats.
Ici, au Canada, nous devons continuer à accroître la couverture vaccinale jusqu’à 90 % et plus pour la population éligible. Les vaccins fonctionnent !
L’approbation des vaccins pour les enfants âgés de cinq à onze ans permettra sans aucun doute d’augmenter encore la couverture vaccinale et de modifier la trajectoire de transmission d’Omicron.
Parallèlement, nous devons conserver les mesures sanitaires: couvre-visage (les données réelles montrent qu’ils diminuent de 53 % la propagation du virus), distanciation (la Covid-19 est une maladie à propagation aérienne), hygiène des mains et réduction des grands rassemblements, surtout à l’intérieur.
Enfin, et c’est tout aussi important, l’émergence du variant Omicron nous rappelle, une fois de plus, à quel point il est essentiel d’aider les pays en développement dans leurs campagnes de vaccination. Le virus continuera à compromettre les progrès réalisés par les pays riches grâce à la vaccination tant et aussi longtemps qu’il trouvera un terrain fertile pour évoluer quelque part dans le monde.
Dasantila Golemi-Kotra, Professor, Biology, York University, Canada
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.