Legault, Drainville et les joueurs de piéno
CHRONIQUE – Questionné sur l’abandon du projet de scrutin proportionnel par son gouvernement, François Legault lançait récemment, outrecuidant: «À part quelques intellectuels, la réforme du scrutin, ça n’intéresse pas personne!»
Spectaculaire boutade, laquelle ne va pas sans rappeler le mépris duplessiste à l’endroit des intellos de l’époque, qu’il qualifiait quasi haineusement de «joueurs de piéno». La posture Legault, à l’instar de celle du Cheuf, poursuit sciemment le dessein suivant: assurer le mirage d’une cassure entre le «peuple» – qu’il représenterait – et une forme nébuleuse d’élite bien-pensante opposée, de facto, à celui-ci.
La manœuvre est d’autant moins subtile si l’on se souvient des 18 mois où Sonia Lebel, alors ministre de la Justice, avait planché sur le projet en question.
Idem quand on se rappelle le sondage publié par Le Devoir, le 7 juin 2019, où 69% des Québécois.es sommaient le gouvernement caquiste de tenir sa promesse, soit l’un des engagements phares de sa campagne. Plus des deux tiers de l’électorat, donc. Beaucoup de monde – ou plutôt d’intellos – à la messe.
Pourquoi l’avoir abandonnée, alors? Bêtement parce qu’au final, le parti au pouvoir perdrait, selon toute vraisemblance, quelques sièges du fait de la réforme. C’était aussi le même calcul, post-promesse, du PQ de 1976 et du PLC de 2015. Pour la vision et la probité, on repassera.
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Dans la même veine, l’arrivée en scène du candidat Drainville. Maintenant délesté de ses idéaux indépendantistes et identitaires, ce dernier se recycle – jeu de mots involontaire – en nouvel apôtre du développement durable, sauce populiste.
Réclamer des études sur le troisième lien, de nous dire Bernard, servirait davantage à «mener une cabale» contre le projet «qu’ à éclairer le débat». Des études inutiles, donc, aux fins de la science. Fallait y penser.
Se justifiant: «Ah oui, les fameuses études… Vous en avez besoin pour quoi, au juste? Pour déterminer si les ponts sont collés? Si les ponts se détériorent? S’il y a un goulot d’étranglement à la tête des ponts? Si une voie réservée serait mieux que pas pantoute?»
La démagogie en toute splendeur.
L’antithèse, à vrai dire, d’un René Lévesque dont on chantait récemment les louanges. Parce que ce dernier, au contraire des populistes bon marché ayant aujourd’hui envahi l’espace public, s’adressait à l’intelligence des gens, et non au plus bas dénominateur commun, voire aux réflexes ti-counes.
Les études, n’en déplaise à Drainville, assurent justement ceci: des bases scientifiques sur lesquelles édifier le débat. Réaliser par exemple qu’un troisième lien, en plus de ses impacts environnementaux délétères, ne réduira en rien le trafic décrié, mais viendra, 10 G$ plus tard, en RAJOUTER.
Les faits, disait Lénine, sont têtus. Voilà pourquoi il est préférable de les éluder, réplique Bernard.
Pour quiconque s’en souvient, celui-ci avait joué dans un film semblable lors de la saga de la Charte des valeurs. Peu après la défaite péquiste de 2014, le ministère de la Justice indique à Radio-Canada ne pas avoir été «sollicité pour rédiger un avis juridique sur la constitutionnalité et la légalité de l’ensemble du projet de loi [sur la Charte des valeurs], pour permettre d’en évaluer les risques de contestation devant les tribunaux. Habituellement, un projet de cette nature fait l’objet d’une demande de produire un tel avis écrit».
Peut-être la meilleure, maintenant, pour le dessert. Pressé de questions sur le troisième lien lors d’une récente conférence de presse, un Bernard Drainville agacé – ou par pur effet de toge – balance: «Lâchez-moi, avec les GES!»
Au même moment où la Chine émet moins de GES par habitant que le Québec.
Au même moment où nos émissions de GES sont au moins quatre fois trop élevées pour respecter l’Accord de Paris.
Au même moment où le tiers du Pakistan, merci aux réchauffements climatiques, est englouti sous l’eau.
Et quand la flotte nous submergera à notre tour, il sera alors convenu de donner (enfin) raison à Bernard: laisse faire les études pis NAGE!