Métro est allé demander «pourquoi?» aux gens qui refusent de voter aux élections
Une étude réalisée par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval révèle que pour 83,77% des résidents de grandes villes québécoises, «voter, c’est un devoir». Pourtant…
Qu’est-ce qui explique le haut taux d’abstentionnisme?
Selon Statistique Canada 32% de ceux qui ne votent pas le font en raison d’un désintérêt envers la politique. Afin d’améliorer la situation , le directeur général des élections du Québec, Pierre Reid, a déclaré en 2021 vouloir «miser sur l’éducation à la démocratie et sur l’information pour stimuler l’intérêt de la population».
Toutefois, bien que le désintérêt soit la raison principale de l’abstentionnisme évoquée par Statistique Canada, elle est à la base du choix d’abstention de moins d’une personne sur trois. En plus d’être loin d’exprimer le choix d’une majorité d’absents, ce «désintérêt envers la politique» peut effectivement être entretenu pour une multitude de raisons très différentes.
Préjugés?
Lorsque Pierre Reid vise «l’éducation à la démocratie» pour «stimuler l’intérêt de la population», il tient pour acquis que ce qui explique une grande partie de ce désintérêt est lié à l’éducation, au manque de connaissance de la politique. Il s’agit d’une idée qui était aussi partagée par plusieurs personnes interviewées lors d’un micro-trottoir au marché Atwater; cependant, aucune statistique ne montre que le manque de connaissance est lié à l’abstentionnisme.
Ainsi, devant l’absence de données précises, Métro a décidé d’aller rencontrer les non-votants montréalais pour qu’ils nous expliquent eux-mêmes les raisons derrière leurs choix. Voici le profil de cinq non-votants. Étant donné le tabou lié à l’abstentionnisme, certains ont préféré rester dans l’anonymat.
Nève, 25 ans, serveuse
En fait, ils nous demandent de faire un choix parmi leurs choix
Nève
Pour Nève, le processus de candidature aux élections est rigide et complexe. Ceci réduit la variété du type de candidats.
Une personne qui se présente aux élections doit correspondre aux critères d’admissibilité établis par le système politique en place en plus d’être libres et disponibles au moment des élections, ce qui n’est pas donné à tous. Ce n’est pas réellement n’importe qui qui peut se présenter. En d’autres mots, le droit de vote n’implique pas une vraie liberté de choix.
À ce sujet, rappelons que trois des cinq chefs des principaux partis politiques, Dominique Anglade, Éric Duhaime et François Legault cumulent des actifs ménagers les plaçant dans une catégorie sociale à part, soit le 5% le plus riche de la population.
Jonathan, 46 ans, programmeur
J’évalue l’impact de mon vote
Jonathan
Jonathan analyse pragmatiquement ses actions et pour lui, son vote n’a pas ou trop peu d’impact pour qu’il l’exerce.
Deux raisons distinctes expliquent son abstentionnisme. Premièrement, ayant résidé dans des circonscriptions où le même parti est toujours élu, il considère que dans ces circonstances, son vote n’aura pas d’incidence sur le résultat électoral.
La deuxième raison évoquée par Jonathan est le fait que ce ne sont pas les politiciens qui ont le réel pouvoir dans notre démocratie libérale. Il s’agit des «grandes entreprises et des grandes fortunes». Il considère que celles-ci participent à maintenir un certain statu quo politique rendant impossible l’avènement d’agendas trop à gauche ou à droite. Selon lui, même si Québec solidaire ou le Parti conservateur du Québec étaient élus, ces formations ne pourraient pas aller de l’avant avec leur programme autant que leurs électeurs le voudraient.
Ian, 43 ans, enseignant en philosophie
Je favorise la représentativité démocratique et on ne peut qu’être scandalisé quant aux réformes qui ont été avortées
Ian
Ian, qui a publié une lettre ouverte dans laquelle il appelle la population à s’abstenir de voter aux élections provinciales de 2022, ne vote pas pour contester le système électoral. Selon lui, dans ce système, l’uninominal à un tour, le gouvernement se forme s’il élit plus de candidats, qui occupent chacun un siège à l’Assemblée nationale, que les autres partis parmi les 125 circonscriptions québécoises.
Ce que Ian critique de ce système, c’est le manque de représentativité. «La CAQ pourra obtenir 80% des sièges avec 40% des voix». Avec 80% des sièges, le gouvernement a 100% du pouvoir, et ce, avec 40% des voix. Un cynisme justifié qui se rattache aussi à son choix contestataire; les deux gouvernements actuellement élus, la Coalition Avenir Québec au provincial et le Parti libéral au Canada, ont promis en campagne vouloir réformer le mode de scrutin pour le rendre plus représentatif. Toutefois, une fois élus, ces partis sont revenus sur cette promesse. Pourquoi donc voter, se questionne Ian.
Contrairement à l’idée que le directeur général des élections se fait des abstentionnistes, c’est son intérêt prononcé pour la politique ainsi que sa connaissance qui s’y rattache qui pousse Ian à ne pas voter.
Ariane, 25, étudiante
«J’annule mon vote presque systématiquement sauf au municipal»
Ariane
Pour Ariane, «la politique, ça devrait se faire du bas vers le haut, mais les grands partis la font du haut vers le bas». Ainsi, elle trouve important d’aller voter, mais ne le fait presque jamais puisque les partis ne lui correspondent pas. Le seul palier où ce n’est pas le cas, c’est au municipal. Elle vote au municipal puisqu’elle considère que dans la politique à petite échelle, l’importance dans la vie des gens est beaucoup plus grande. Aux autres paliers, on lui suggère de voter stratégique, mais Ariane considère qu’il y a peu de valeur à l’exercice démocratique si cela implique d’octroyer son vote à des propositions et des candidats qui ne la représentent pas.
Sandrine (faux nom), 59 ans
Je ne connais pas la politique, je ne suis pas intéressée
Sandrine
Sandrine est la seule non-votante interviewée qui fait partie de ceux que Pierre Reid semble viser pour les intéresser à la politique. Elle admet être fondamentalement désintéressée par la politique et ne pas trop s’y connaître.
Pour Sandrine, même si la politique et les décisions qui s’y prennent l’impactent, notamment ce qui touche à l’impôt, elle préférerait être moins taxée pour mieux survivre au coût de la vie, il s’agit d’un vecteur d’opposition plus que d’édification. Elle préfère donc ne pas s’y attarder et vouer sa vie à des intérêts plus «positifs».
Cliquez sur ce lien pour poursuivre votre lecture du dossier Métro sur l’abstentionnisme électoral!