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«Montréal, territoire autochtone non-cédé»: polémique autour d’une phrase controversée

Photo: Métro

Alors que Denis Coderre et Valérie Plante ont récemment pris position en déclarant que la métropole était un territoire autochtone, voire Mohawk, non-cédé, cette phrase a suscité la controverse. Métro a tenté d’y voir plus clair.

Lundi, sur les coups de 13h, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, va ouvrir la séance du conseil municipal en soulignant que la métropole est «un territoire autochtone non cédé». «Un geste très simple, mais hautement symbolique qui rappelle l’importance et la place des nations autochtones au fil des années», avait-elle déclaré, le 27 novembre dernier, au cours de la précédente assemblée.

Quelques mois plus tôt, son prédécesseur, Denis Coderre, avait quant à lui pris l’habitude de démarrer la plupart de ses discours en mentionnant que Montréal était située sur un «territoire Mowhak non cédé».

Faux, clament de nombreux historiens. «Si on regarde les preuves matérielles, rien ne supporte cette thèse. Ça ne tient pas la route», clame Laurent Turcot, professeur au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Alors que Jacques Cartier, au 16e siècle, avait narré la présence iroquoienne sur les terres de la future Nouvelle-France, le passage de Samuel de Champlain au début siècle suivant, près de quatre décennies avant la fondation de Montréal par Jeanne-Mance, aurait changé la donne. «Les Mohawks ne sont plus là», explique l’archéologue Christian Gates St-Pierre, qui précise qu’aucun vestige ne prouve leur présence à cette période.

«Au moment où Montréal est fondée, il n’y a aucun groupe qui habite ici en permanence et plusieurs fréquentent les lieux. Beaucoup de groupes circulaient dans la vallée du Saint-Laurent», ajoute l’universitaire Paul-André Linteau. «Cinq peuples pourraient même revendiquer leur présence à Montréal qui était un territoire contesté», reprend Christian Gates St-Pierre.

«Nos données historiques et archéologiques sont en contradiction avec la tradition orale des Mohawks.» – Christian Gates St-Pierre, archéologue

«Une attaque concertée»
De telles affirmations irritent la communauté autochtone. Dans un communiqué envoyé à Métro [Métro a tenté, en vain, de parler avec différents représentants autochtones, dont Ghislain Picard, chef de l’Assemblée de Premières nations. Les demandes d’entrevue sont restées sans réponse], le Grand Chef Joseph Tokwiro Norton, du Conseil Mohawk de Kahnawake, dénonce une version de l’histoire provenant «d’historiens allochtones».

Ce dernier évoque «une attaque concertée» et une «thèse échafaudée sur des bases nébuleuses», avant de confier que des traditions orales prouveraient une présence des Mohawks. «Montréal était un site de convergence où les chefs de plusieurs nations se réunissaient pour délibérer», écrit-il.

«Ces historiens occidentaux, réputés et classiques viennent balayer de la main les traditions orales de toute une nation», défend l’historien autochtone, Médérik Sioui, Huron-Wendat d’origine.

Selon lui, les récits rapportés par «les gardiens de l’Histoire» associaient «les habitants d’Hochelaga aux Mohawks». «Il n’y a peut-être pas de preuves archéologiques, mais comment peut-on prétendre avoir la vérité alors que les traditions parlent de liens avec Montréal?» questionne-t-il, avant de laisser entendre que différents peuples ont pu provisoirement déménager en raison de la météo et des épidémies.

Selon le Grand Chef Norton, «l’interprétation des sources historiques et archéologiques n’a jamais été un processus neutre et objectif». «Il faut faire confiance à la perspective et à l’expertise des peuples autochtones», juge quant à elle Marie-Josée Parent.

Première élue d’origine autochtone à Montréal, la conseillère de Verdun juge «essentiel» que la Ville «écoute ce que les Premières nations ont à dire». «La réconciliation passe par un travail d’échange. C’est fondamental.»

«Dire qu’il n’y a pas de traces, c’est un peu gros. Ces conceptions du monde sont propres à certains historiens qui n’acceptent pas l’idée d’une tradition orale.» – Médérik Sioui, historien autochtone

Autochtone ou Mohawk?
Contrairement à son prédécesseur, Valérie Plante est cependant restée plus nuancée. Pour l’instant, celle-ci se limite à parler d’un «territoire autochtone». «Elle a raison», juge Denys Delâge, professeur à l’Université Laval, précisant que les Mohawks, selon lui, sont revenus s’établir à Montréal «à partir de 1667». «C’est plus avéré et plus sûr», glisse Laurent Turcot,

Un avis que ne partage pas Médérik Sioui. «On ménage la chèvre et le chou, raille l’enseignant au Collège Kiuna, où l’on enseigne l’histoire des Premières nations. Personne n’est content et ça ne sert pas à grand chose. Toute l’Amérique était un territoire autochtone. Si on veut construire des ponts au lieu des les brûler, il vaut mieux dire Mohawk que territoire autochtone.»

Mais «cibler une communauté précise», ce serait «trafiquer l’histoire», lance Laurent Turcot. «L’histoire est une plaie ouverte et en faisant ça, on essaye de la cautériser rapidement alors qu’il faudrait prendre du temps et se fier aux faits».

Tous, néanmoins, s’entendent sur ce point: «jamais l’île de Montréal n’a été cédée», confirme Médérik Sioui, appuyé par Denys Delâge. «Les Français n’achetaient pas de territoire et ils n’ont jamais été intéressés à avoir les droits entiers sur cette terre», souligne ce dernier.

Une unanimité sur une question qui, comme le résume Médérik Sioui, «fait pas mal de remue ménage».

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Une reconnaissance appréciée

S’ils se montrent sceptiques sur la formulation, ces historiens ne rejettent pas, bien au contraire, ce processus de réconciliation. «Trop longtemps, les autochtones ont été traités comme des moins que rien et on a tenté de les éradiquer», observe Laurent Turcot. «Leur opinion doit être entendue», fait valoir Christian Gates St-Pierre, qui espère «travailler ensemble pour mieux documenter» l’histoire de ces peuples. «On ne dit pas qu’on ne reconnaît pas leur présence, plus tard, ni ce qu’ils ont apporté à Montréal. Il faut reconnaître leur place», expose Denys Delâge.

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Une stratégie qui «porte ses fruits»

À l’instar de plusieurs villes canadiennes, la Ville de Montréal a réalisé différentes démarches pour devenir «la métropole de la réconciliation», comme l’affirmait l’ancien maire Denis Coderre. En août, le conseil municipal a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, puis, en septembre, un pin blanc, symbole de l’arbre de paix, a été ajouté au drapeau montréalais. L’ancienne administration expliquait également vouloir accroitre l’utilisation de toponymes autochtones et renommer la rue Amherst, en raison des actions prises par le général britannique du même nom, suspecté d’avoir tué de nombreux membres de la communauté autochtone.

Ces gestes ont «porté leurs fruits», certifie Médérik Sioui, qui félicite le travail amorcé par Denis Coderre. «Il a mis en place une stratégie de réconciliation. Il y a cinq ans, jamais les Mohawks ne participaient à des activités de la Ville de Montréal. Maintenant, de meilleurs liens ont été tissés. Avec de tels gestes, comme cette phrase, on avance. Même si elle fâche quelques Euro-Canadiens historiens classiques.»

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