Jean-François Lisée : «Nous allons émerger de la crise»
Le ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur a surtout porté son chapeau de ministre responsable de la Métropole dans les derniers jours. Métro l’a rencontré hier avant la démission de Gérald Tremblay et avant que Gilles Vaillancourt se soit fixé sur son avenir.
Québec a-t-il demandé la démission des maires Vaillancourt et Tremblay?
Ils sont responsables de leurs paroles et ça serait contre-productif que d’intervenir à ce moment-ci.
En tant que citoyen de Montréal, vous avez une opinion…
Oui. Le citoyen et le ministre, c’est deux choses. On a envoyé tous les signaux qu’on avait à envoyer. Maintenant la balle est dans leur camp.
Comment vous réagissez aux révélations qui sont faites à la Commission Charbonneau?
Je suis content que ça sorte. Il y avait un abcès et il fallait le crever. Je suis très encouragé par la capacité de la commission à attirer des témoins au cœur du système. Ce que je veux, c’est qu’on traverse la crise, qu’on aille au fond du baril, pour ensuite pouvoir en sortir. Depuis deux ans, on est dans la phase de pourrissement de la situation. Là, on est dans la phase d’épuration, et ensuite on pourra émerger de façon intègre avec un nouveau personnel politique.
Évidemment, on apprend encore des choses qui nous terrassent. On se rend compte de tout ce qu’on a payé en trop dans les dernières années. Parce qu’on est capable de voir le pire en ce moment, on sera capable du meilleur par la suite.
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Vous avez publié sur votre blogue un billet fort positif sur le fait que Montréal est demeurée grouillante d’activité malgré la situation pourrie. Vous n’avez pas peur que tout ça soit freiné maintenant?
Tout ce qui avait à freiner freinait avant. Ce cancer-là, il prenait de l’ampleur. Là, on est en train d’opérer. Et le traitement n’est pas débilitant.
On ne va pas découvrir d’autres tumeurs?
Il faut toutes les découvrir. Plus on en découvre, plus on sera en bonne santé. On va effectivement reporter des travaux qui auraient dû être faits tout de suite. Mais une fois qu’on les aura relancés, on verra un retour de la vraie compétition qui fera baisser les coûts. Le sérieux du travail qui se fait maintenant m’incite à penser qu’on va pouvoir émerger.
Même si certains maires choisissent de se retirer, leurs administrations resteront en place. Est-ce que Québec prévoit modifier des lois pour tenir des élections anticipées ou prendre un certain contrôle des conseils municipaux?
Non, pas du tout. Nous sommes là pour respecter la démocratie municipale, pour qu’elle fonctionne. Ça veut dire que d’ici novembre 2013, il y aura un vrai débat démocratique à Montréal et à Laval pour trouver une nouvelle équipe de direction.
Et si, entre-temps, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et la commission trouvent des coupables dans les administrations ou chez les élus, elles feront ce ménage-là. La justice suivra son cours. Les citoyens des deux villes pourront prendre une décision en toute connaissance de cause, et Québec respectera leur décision.
Croyez-vous qu’il y aura une relève politique? À Laval, Gilles Vaillancourt dirige depuis des années sans opposition.
La politique a horreur du vide. C’est sûr que c’est la fin d’une époque à Laval. C’est aux citoyens et à ceux qui veulent du changement de se manifester.
Lisée discute de la question linguistique
Montréal et Laval sont au cœur de la tempête, mais ça ne veut pas dire qu’il ne se passe rien ailleurs. Comment s’assure-t-on de faire un ménage complet?
La Commission a un mandat assez large et l’UPAC aussi. L’UPAC est très présente dans la couronne nord, par exemple. On constate que depuis le 4 septembre, il y a une accélération du nombre de perquisitions et d’actions. Est-ce que c’est parce qu’ils comprennent que nous ne les bloquerons pas et que la volonté de notre gouvernement de trouver les coupables est très claire? Je ne sais pas. Mais je suis très content de l’amélioration de la cadence de leur travail. On parle de Laval et de Montréal, mais ça va bien ailleurs. Ça va super bien à Longueuil, par exemple.
La mairesse de Longueuil Caroline St-Hilaire s’en tire bien. Est-ce qu’elle bénéficie du fait qu’elle ne soit là que depuis 2009? Est-ce important de limiter le nombre de mandats des maires?
La proposition qu’on soumet à la consultation actuellement est de limiter à trois les mandats des maires des grandes agglomérations. Certains maires sont contre, mais on va faire le débat. C’est une bonne chose de poser la question. C’est sage.
Vous menez une opération séduction sans précédent pour un gouvernement péquiste auprès de la population anglophone. Est-ce parce que vous êtes minoritaires?
Non. J’ai toujours pensé ça. Je le pensais alors que j’étais conseiller de Lucien Bouchard dans un gouvernement majoritaire, j’écris sur la question depuis les années 2000 et j’en avais discuté avec Mme Marois avant les élections alors qu’on souhaitait être majoritaire, donc ça n’a rien à voir.
Quel est votre message à leur endroit?
Je pense qu’à Montréal, on est à une étape de notre développement linguistique où il faut dire plusieurs choses qui n’ont pas été dites assez clairement avant. Premièrement, c’est que la crainte du déclin linguistique des francophones n’est pas due à la communauté anglophone. Il faut reconnaître l’extraordinaire investissement des anglophones depuis 25 ans dans l’apprentissage du français. Ils sont 80 % maintenant à être bilingues. Je trouve bizarre, en ce sens, que des grandes institutions, comme la Banque Nationale l’an dernier, choisissent un unilingue anglais comme cadre supérieur. Je trouve que ce n’est pas sympathique envers les anglophones bilingues de Montréal. C’est leur dire que leurs efforts n’ont servi à rien.
Deuxièmement, le déclin du français à Montréal est d’abord dû au fait que les familles francophones quittent pour la banlieue et, ensuite, à la composition linguistique des immigrants qui était imprudente avec les gouvernements précédents. C’est là-dessus qu’il faut travailler. La nouvelle loi 101 ne vise pas les anglophones montréalais; elle vise à induire les immigrants allophones vers le français. Les anglos pensent souvent qu’ils sont la cible. Ils l’ont déjà été, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Est-ce que l’accès à l’habitation est la véritable solution pour sauver le français à Montréal?
Absolument. On se rend compte que les jeunes familles qui veulent avoir accès à un premier logement voient le différentiel de prix avec la banlieue. Même ceux qui seraient près à assumer ce différentiel ne trouvent pas l’offre : la troisième chambre, la quatrième chambre.
Mais ce ne sont pas seulement les familles francophones…
Non, mais si sur dix familles qui quittent, il y en a sept de francophones, on va pouvoir en retenir sept sur dix. C’est sûr que les politiques qu’on va développer seront pour toutes la familles de l’île. Par exemple, les commissions scolaires anglophones de l’île sont très favorables à ces politiques, parce que leurs familles quittent aussi pour la banlieue. On considère qu’en bout de ligne, ces actions seront favorables au français.