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À Montréal, les femmes noires au front contre la COVID-19

Depuis un an, elles travaillent aux premières lignes contre la COVID-19, le masque et la visière au visage, ou dans la cellule de crise en santé publique. Et leurs sensibilités doivent être davantage mises à contribution, arguent des travailleuses de la santé noires qui se sont confiées à Métro.

Infirmière de formation, Marie-Andrée Ulysse apparaît rarement dans les téléviseurs des Montréalais. Pourtant, elle contribue quotidiennement au combat contre la COVID-19. Depuis juin 2020, cette coordonnatrice régionale en prévention et contrôle des maladies infectieuses côtoie quotidiennement Mylène Drouin à la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal.

Avant de se joindre à la DRSP, Marie-Andrée Ulysse a passé des années sur le terrain. Trente, pour être exact. Et elle n’est pas seule. Une étude de Statistique Canada publiée en août dernier rapportait qu’une femme noire sur trois oeuvre dans le réseau de la santé. C’est une sur deux dans la communauté canado-haïtienne.

«J’ai été très tôt infirmière-cheffe de salles d’urgences, à Royal-Victoria, à la Cité-de-la-santé de Laval, relate Mme Ulysse. Je me suis retrouvée à la Direction de santé publique en 2016. Mon parcours, je crois, qu’il m’a préparé à travailler dans l’urgence.»

En mars, le virus frappe

Mais rien ne prépare à affronter une pandémie. En janvier, alors que l’information commence tranquillement à filtrer sur ce virus venu d’Asie, la Santé publique se met sur un pied d’alerte. Puis, en mars et en avril, Montréal encaisse.

«Il y a plusieurs arrondissements où ça brûlait. La montée des cas a été très rapide, ce qui fait que notre réponse était peut-être moins bonne que celle qu’on a eue à la deuxième vague», se remémore Marie-Andrée Ulysse.

À mesure que les décès et les hospitalisations se multiplient, les travailleurs et les travailleuses de la santé vont par moment devenir des victimes collatérales. «Il fallait subir la mort tous les jours, c’était aberrant», raconte Jennifer Philogene, ex-infirmière, aujourd’hui enseignante. La COVID-19 aura eu raison de sa passion pour le travail terrain.

«J’étais traumatisée. Traumatisée de manquer de temps pour rassurer une femme qui ressemblait à ma grand-mère, anxieuse d’attraper le virus moi-même malgré tous les protocoles», témoigne-t-elle.

Alerte dans le Nord-Est

Jennifer Philogene voit son milieu de travail, l’hôpital Fleury, s’engorger de manière alarmante, frappé par la progression foudroyante du virus sur l’île.

Ce sont surtout les quartiers du Nord-Est qui en pâtissent. En raison notamment du grand nombre de travailleurs de la santé qui y habitent, mais aussi en raison de conditions de logement défavorables, des quartiers comme Montréal-Nord et Saint-Michel vont devenir l’épicentre canadien de la pandémie.

«Il y avait un problème», souligne d’emblée la présidente du Ralliement des infirmières et infirmières auxiliaires haïtiennes de Montréal (RIIAH), Maud Pierre-Pierre.

«Une bonne partie des femmes dans ces quartiers-là travaillaient dans le milieu de la santé et étaient susceptibles de s’infecter», poursuit-elle.

Une place à la table

Si les femmes noires travaillent souvent dans le réseau de la santé, le portrait diffère à la Santé publique de Montréal, constate Marie-Andrée Ulysse.

«Dans mon secteur, on est trois», observe l’ex-infirmière. Sa présence à la table des décisions est devenue d’autant plus importante, selon elle.

«Je n’ai pas eu peur de le dire. Les jeunes qui sont décédés pendant la première vague, souvent, c’était des personnes d’origine haïtienne. Je l’ai soulevé ce point-là», affirme-t-elle.

«Je ne sais pas si un blanc aurait pu lever ce drapeau rouge. Moi, j’avais cette sensibilité.» – Marie-Andrée Ulysse, coordonnatrice régionale en prévention et contrôle des maladies infectieuses à la DRSP de Montréal

«Notre voix porte moins»

Confrontée à de nombreuses reprises à des comportements racistes dans le réseau de la santé, Jennifer Philogene lance un cri du coeur pour une meilleure représentation des communautés noires au sein des équipes décisionnelles.

«Notre voix porte définitivement moins», constate-t-elle. Un autre symptôme du «racisme systémique», argue Maud Pierre-Pierre.

«Quand les gens postulent encore pour un emploi pour lequel ils sont qualifiés, et que c’est quelqu’un “de souche” qui le reçoit, oui, il y a du racisme systémique», indique la principale porte-parole du RIIAH.

Elle qui a brisé «plusieurs plafonds de verre», Marie-Andrée Ulysse a dû éviter plusieurs obstacles pour se rendre où elle est aujourd’hui.

«J’ai toujours eu l’impression d’avoir à travailler plus que les autres pour arriver au même niveau», souligne-t-elle. Elle souhaite avoir tracé un chemin pour les jeunes femmes noires qui suivront.

– En collaboration avec Xavier Bourassa, Métro Média

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