Évictions: son logement repris sous un faux prétexte
Une résidente de Verdun dénonce une éviction faite sous de faux prétextes. Après près de dix ans à habiter dans son six et demi, Mélanie G.* a été forcée de quitter son logement abordable parce que le nouveau propriétaire de l’immeuble y emménagerait. Ce dernier ne s’y est toutefois jamais installé et a plutôt revendu le bâtiment à peine six mois plus tard.
C’est en juin 2019 que Mélanie G. a eu la visite de Maximilian Cukier, qui venait d’acquérir son immeuble de la rue Hickson à Verdun. Il était accompagné de son acolyte Evan Paperman, directeur de la même compagnie à numéro.
Après cette première rencontre «menaçante», la mère de famille reçoit un appel de M. Cukier.
Celui-ci lui ordonne de partir avant la fin de son bail qui se termine en juillet 2020, ce à quoi elle s’oppose. «Il me dit qu’il a besoin de l’appartement, qu’il va y demeurer, lui et sa femme», se rappelle Mme G.
Prête à se battre
Dans un premier temps, Mélanie G. a refusé de quitter son logement de la rue Hickson, où elle habitait avec ses deux fils et sa mère au coût de 1000$ par mois. À la fin de l’été 2019, elle se rend aux bureaux de Maximilian Cukier pour lui faire savoir qu’elle compte se battre en engageant une avocate.
«Je continue avec l’avocate, je m’informe à la Régie du logement, mais vraiment, ce n’est pas bon pour moi. Je me faisais dire de tous les bords, tous les côtés, qu’il faut que je parte de là.»
Mélanie G.
C’est finalement au mois de novembre que la femme, épuisée, «commence à baisser les bras et à trouver ça dur». En janvier 2020, elle entame sa recherche de logement.
Elle demande également à Maximilian Cukier de ne pas payer ses loyers jusqu’au mois de juillet en guise de compensation, ce qu’il accepte. «Je ne m’imaginais même pas partir. J’ai pleuré ma vie. Je ne trouvais rien. Les propriétaires sont rendus fous», mentionne Mélanie G. en se rappelant de sa chasse à l’appartement éreintante.
La locataire apprendra plus tard que l’homme n’a jamais emménagé dans l’appartement, toujours vide à ce jour. Selon le Registre des entreprises, Maximilian Cukier réside dans Westmount, tout comme Evan Paperman.
Des banques alimentaires et un coloc
Depuis plus d’un an, Mélanie G. considère que sa vie a basculé. Si elle a réussi à retrouver un logement dans son quartier, elle paie dorénavant presque le double du loyer qu’elle payait sur la rue Hickson.
«Plus le choix», la locataire doit maintenant avoir recours aux services des banques alimentaires. Par ailleurs, elle doit maintenant partager son logement avec un colocataire, en plus de ses deux fils et de sa mère. «Je n’ai jamais fait ça de ma vie», dit-elle.
Ce qui dépite le plus Mélanie G. dans toute cette histoire est qu’on lui ait menti. L’immeuble a été revendu en décembre 2020, dit-elle. Une information que Métro a pu confirmer en consultant le registre foncier. Personne ne semble y habiter encore aujourd’hui.
«Tout ça pour rien! Au lieu de me laisser rester là et de rénover un peu pour que je sois bien… quitte à payer 100$ de plus, mais pas ce que je paie présentement, en haut d’un magasin sur la Wellington», déplore-t-elle.
Les «videurs d’immeubles» de Verdun
Mélanie G. n’est pas la seule à être victime des mêmes spéculateurs immobiliers à Verdun.
En effet, l’organisatrice communautaire du Comité d’action des citoyens et citoyennes de Verdun (CACV), Margot Silvestro, affirme que l’organisme a présentement quatre dossiers actifs avec les locateurs Maximilian Cukier et Evan Paperman.
Leur modus operandi est identique pour les quatre immeubles, tous situés à Verdun.
«La logique économique de ces deux personnes-là, la même que pour d’autres spéculateurs immobiliers, c’est de cibler des immeubles qui sont sous la valeur du marché et de les remettre à la valeur du marché, explique Margot Silvestro. Pour des économistes ou des financiers, c’est quelque chose de bien vu, sauf que, au bout de ça, il y a des humains.»
Mme Silvestro ajoute que, au final, le but des spéculateurs immobiliers est de «vider le bâtiment» dans le but de rénover les appartements d’une manière «tape à l’œil» et ensuite les remettre sur le marché trois à quatre fois plus cher.
Les résistants de Verdun
André Savard et Daniel D.** ont eux aussi subi les pressions des mêmes spéculateurs immobiliers qui leur demandait de quitter leur logement à Verdun. Aujourd’hui, chacun des deux locataires sont les derniers résistants de leur immeuble respectif.
En effet, le bâtiment où réside Daniel D. depuis 20 ans a été vendu à messieurs Cukier et Paperman en janvier 2020. Ces derniers lui demandaient de quitter son appartement pour y faire des rénovations. «Ils m’ont dit: il faut que vous partiez d’ici. Dans le fond, j’ai compris que c’est parce que je paie 405$», souligne Daniel D.
Le locataire a réussi à résister jusqu’à aujourd’hui, bien que son propriétaire ait tenté de lui rendre la vie dure afin de le pousser à déménager. Daniel D. soutient que le reste de son bâtiment est quasiment vide et qu’un autre appartement du bloc – identique au sien – est affiché à plus de 1600$.
Pour ce qui est de André Savard, il est le seul des six locataires à ne pas avoir signé une résiliation de bail sous la pression des mêmes spéculateurs immobiliers. À présent, il affirme être l’unique occupant de l’immeuble à six étages.
Récemment, il a écrit au premier ministre François Legault pour dénoncer ce dont lui et d’autres voisins sont victimes. «Les gens qui vivent une situation comme la mienne se multiplient. Certes, il y a la question du logement social, mais il y aussi celle de ces prédateurs immobiliers qui sont devenus des videurs d’immeubles, des videurs brouillant la ligne de partage entre propriété et gangstérisme», écrit-il dans sa lettre adressée à M. Legault.
Métro a tenté de contacter messieurs Maximilian Cukier et Evan Paperman, mais ceux-ci n’ont jamais rappelé.
*Afin de préserver l’identité de la personne, le nom de famille n’est pas indiqué.
**Afin d’éviter les représailles, le nom a été changé.