Une Montréalaise d’origine ouïghoure réclame un #NoBeijing2022
Travaillant depuis deux ans à Munich, la Montréalaise Zumretay Arkin est coordonnatrice de projet pour le Congrès mondial des Ouïghours. Cette organisation internationale milite pour que les droits de ce peuple turcique, minoritaire en Chine, soient reconnus, et pour que le régime chinois cesse les exactions commises à leur endroit. À la veille des Jeux olympiques de Beijing 2022, Métro la joint à Washington alors que sa campagne #NoBeijing2022 entre dans son dernier sprint.
Vous êtes native d’Ürümqi, la capitale de la province chinoise du Xinjiang, qui est aussi appelée Turkestan oriental. Comment vous êtes-vous retrouvée à Montréal ?
Zumretay Arkin: Avec ma famille, nous avons immigré au Canada en 2003, quand j’avais 10 ans. Mon père était déjà à Montréal depuis 1999, où il avait été accepté comme réfugié politique. Les mesures de discrimination contre les ouïghours étaient déjà en place depuis des décennies en Chine. Avec des opportunités limitées, mes parents sont partis pour nous offrir un avenir meilleur.
Pourquoi vous impliquez-vous dans la cause ouïghoure?
Z. A.: Je pense que tous les Ouïghours en exil sont portés vers le militantisme lorsqu’ils s’installent dans un pays démocratique. Nous n’avons plus de restrictions sur notre liberté d’expression. Mon père était très impliqué dans la diaspora et il m’a beaucoup inspirée.
Mais c’est l’expérience de discrimination que j’ai vécue, quand je suis retournée à Ürümqi, à l’âge de 16 ans, qui m’a convaincue. Ma famille et moi sommes arrivés en plein milieu des émeutes violentes d’Ürümqi en juillet 2009. En débarquant à l’aéroport de Beijing, en Chine, nous avons été profilés à cause de notre identité ouïghoure. Nous étions considérés comme des étrangers dans notre propre pays. En rentrant au Canada, j’ai décidé de m’impliquer plus activement au sein de la communauté.
Quelle est la situation actuelle pour les Ouïghours au Xinjiang?
Z. A.: Dit simplement, il y a un génocide en cours au Turkestan oriental. Depuis 2016, on a vu l’émergence de camps d’internement où on estime qu’entre 1 à 3 millions de Ouïghours et de membres d’autres ethnies turciques sont détenus arbitrairement. Ils sont internés par le gouvernement chinois pour avoir commis des «crimes», comme pratiquer leur religion en portant une barbe ou un voile, communiquer avec leur famille à l’étranger ou avoir eu trop d’enfants. Les conditions dans les camps, racontées par des rescapés en exil, sont horribles. Il y a de la torture mentale et physique, et des abus sexuels perpétrés par les officiers.
En dehors de ces camps, il y a des politiques de stérilisation et d’avortement forcé pour les femmes ouïghoures et turciques. On a aussi documenté une surveillance de masse intrusive dans les maisons ouïghoures, ainsi que du travail forcé. La région est comme une prison à ciel ouvert, même les journalistes n’y ont pas accès.
Selon vous, quelle posture doit adopter le Canada face aux Jeux olympiques de Beijing qui débuteront le 4 février 2022?
Z. A.: C’est très simple, j’aimerais que le Canada boycotte diplomatiquement ces Jeux. Ça impliquerait de n’envoyer aucun représentant du gouvernement à Beijing pendant les célébrations. Le président des États-Unis a dit envisager l’idée. Maintenant que les deux Michael sont rentrés au pays [NDLR: l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor étaient détenus en Chine depuis fin 2018], je pense que le Canada doit être plus ferme avec la Chine. Ça enverrait un message à la communauté ouïghoure qu’il soutient les droits de la personne, en même temps de condamner les gestes que commet le régime chinois.
Pour finir sur une note plus légère, que représente Montréal pour toi?
Z. A.: Montréal, c’est ma maison. Je me sens chanceuse d’avoir grandi dans un environnement multiculturel et cosmopolite. Ça a beaucoup joué dans mon affirmation et mon implication dans la cause des Ouïghours. Peu importe ce qui se passe, je sais que je pourrai toujours rentrer à Montréal et bien m’y sentir. C’est rassurant.
Note: Les réponses ont été éditées par souci de concision.
Un génocide?
«C’est un génocide, car on parle de contrôle de naissance avec la stérilisation forcée, de séparation des enfants de leur famille et de torture dans les camps de détention pour les Ouïghours, explique Marie Lamensch, coordonnatrice à l’Institut montréalais de l’étude des génocides et des droits de la personne (MIGS) de l’Université Concordia. Toutes ces actions sont des caractéristiques d’un génocide, selon la définition de l’ONU.»
Un grand nombre de morts n’est pas nécessaire pour qualifier une situation de «génocide», explique-t-elle. «On a en tête l’Holocauste et ses camps de concentration, mais il y a des manières plus pernicieuses. Avec les preuves qui s’accumulent, on peut affirmer que le régime chinois a l’intention de détruire les liens sociaux et culturels du peuple ouïghour.»