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Avortement: attention à la désinformation

Une affiche pro-choix est collée sur un feu de signalisation.
Une affiche pro-choix est collée sur un feu de signalisation. Photo: Josie Desmarais/Métro

Les dépliants distribués à Montréal affirmant que «les droits humains commencent quand l’humain commence» sont «pleins de belles phrases», mais ne tiennent pas la route légalement, explique le Dr Jean-Victor Guimond, médecin-chef du service de planification familiale et d’interruption volontaire de grossesse du CIUSSS du Centre-Sud de Montréal. Les images dérangeantes qui s’y trouvent déformeraient aussi la réalité.

Il y a quelques semaines, alors que l’arrêt Roe v. Wade tombait aux États-Unis, des dépliants antiavortement ont été distribués dans plusieurs quartiers de Montréal. Les groupes antichoix canadiens s’inspirent de méthodes américaines, mais au pays, ces méthodes comportent plusieurs lacunes.

Métro a contacté le Dr Jean-Victor Guimond pour que celui-ci confirme ou infirme la véracité des images de fœtus avortés figurant sur les dépliants. À son avis, les photos sont «peut-être de vraies images», mais le nombre de semaines y étant associé ne concorde pas nécessairement avec la taille et le développement des fœtus.

La porte-parole de Montréal contre l’avortement avec qui Métro s’est entretenu, la Torontoise Katie Somers, nous a fait parvenir deux déclarations sous serment pour témoigner de la véracité de l’information. Le premier est signé par Anthony P. Levatino, un gynécologue et obstétricien américain.

Le Dr Levatino est connu aux États-Unis pour avoir pratiqué des avortements avant de changer d’opinion. Il milite désormais contre le droit à l’avortement. L’autre déclaration sous serment provient du photographe qui aurait pris les photos. Mais toutes les informations permettant de l’identifier ont été caviardées.

Les dépliants en question ont été distribués par le groupe Montréal contre l’avortement, mais proviennent d’un groupe antiavortement canadien, le Canadian Center for Bio-Ethical Reform. Celui-ci a des liens avec les groupes américains antichoix Center for Bio-Ethical Reform et Created Equal. Les photos appartiennent à ces deux groupes.

De vraies photos, oui et alors?

La directrice générale de l’organisme montréalais Grossesse Secours, Josiane Robert, déplore que ces images servent à «culpabiliser la femme ou toute personne qui a un utérus et qui veut avoir une interruption de grossesse». Mais ce qui attire l’attention du Dr Guimond c’est l’argumentaire utilisé dans les dépliants.

Photographie du dépliant distribué par Montréal contre l’avortement

Le médecin explique que lorsque les organismes antichoix affirment que «l’avortement est une violation des droits humains», il s’agit d’une position idéologique et non d’une vérité légale ou médicale. Au Canada, on ne peut pas affirmer que les droits humains commencent dès la fécondation, comme il est indiqué sur les dépliants.

Photographie du dépliant distribué par Montréal contre l’avortement

La question à savoir si la vie humaine débute au moment de la fécondation – autre argument du groupe anti-choix – n’est pas ce qui détermine les droits du foetus. Ce n’est qu’à la naissance qu’un fœtus obtient des droits indépendants de ceux de la mère. Avant ce moment, comme l’explique le Dr Guimond, il «est considéré comme un organe de la personne qui le porte».

Le principe dans ça, c’est qu’on ne peut donner de droits au fœtus sans en enlever à la femme.

Le Dr Jean-Victor Guimond

C’est justement sur les bases de ce principe que se sont prises les décisions juridiques garantissant aux femmes le droit à l’avortement.

Petit cours d’histoire et de droit

Le Dr Guimond, qui lutte pour l’avortement depuis plusieurs décennies, explique que deux jugements sont importants pour comprendre le droit à l’avortement ainsi que les droits des femmes et des fœtus. Il s’agit du jugement Morgentaler, passé en 1988, et du jugement Tremblay c. Daigle, rendu en 1989.

Le tout premier porte le nom d’un médecin ayant mis sur pied plusieurs cliniques d’avortement clandestines avant leur décriminalisation et ayant lutté pour les droits sexuels et reproductifs des femmes.

Justement, lors de ce jugement rendu par la Cour suprême, celle-ci a déclaré que la criminalisation de l’avortement est anticonstitutionnelle. L’avortement, maintenant décriminalisé, «est automatiquement devenu un acte médical», souligne le Dr Guimond. Cela veut dire que l’acte médical est encadré par le Collège des médecins.

Le jugement en question «aura permis d’obtenir les lignes directrices, donc, pour la pratique de l’avortement», explique le Dr Guimond.

La clef de l’accès à l’avortement réside ici: lors du jugement rendu en 1988, le juge en chef de la Cour suprême écrit que «forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à porter un fœtus à terme, à moins qu’elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l’égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne».

Attention toutefois, la Cour n’affirme pas qu’il existe un droit inhérent à l’avortement en vertu de la Charte.

Selon le médecin du CIUSSS du Centre-Sud de Montréal, le second jugement, Tremblay c. Daigle, est encore plus déterminant. C’est «le plus important, mais [celui] dont on parle très peu», souligne-t-il.

Ce jugement stipule que «le fœtus n’a pas de personnalité juridique». «Tant que le fœtus ne sort pas de l’utérus vivant, donc respire et a des battements cardiaques, il n’a pas de droits inscrits dans la Charte des droits et liberté», illustre le Dr Guimond.

Il ne s’agit pas de retirer des droits au fœtus. C’est qu’on ne peut pas lui en donner parce que ça retirerait les droits fondamentaux à la femme, qui sont la liberté de conscience, et tous ceux qui apparaissent sur la Charte des droits et libertés.

Le Dr Jean-Victor Guimond

La longue histoire courte de Tremblay c. Daigle

L’histoire se déroule en 1989. On rappelle qu’à ce moment, l’avortement vient tout juste d’être décriminalisé. Monsieur Tremblay voulait empêcher sa conjointe, madame Daigle, de se faire avorter. Le duo est allé en cour, où le juge a accordé le droit à l’homme d’empêcher sa conjointe d’avoir accès à l’avortement. Le cas se rend ensuite en Cour supérieure, où le juge tranche encore une fois en faveur du mari. Puis, M. Tremblay et Mme Daigle se rendent jusqu’en Cour suprême du Canada. «Pour faire une histoire courte, on s’est mêlé de tout ça, se souvient Jean-Victor Guimond. Finalement, on lui a fait passer la frontière des États-Unis et elle s’est fait avorter dans la région de Boston.» Quand la nouvelle s’est ébruitée, «les gens ont dit que c’était pas nécessaire de continuer puisque la cause était réglée», explique-t-il. Les juges de la Cour suprême du Canada, eux, ont décidé que le cas était de la plus haute importance et qu’ils rendraient donc un jugement.

Et ceux qui croient que les fœtus devraient être considérés comme des personnes juridiques? «La liberté de penser, vous l’avez. Merveilleux, pensez ça. Mais dans les faits, on ne peut pas considérer ça dans la pratique médicale», dit le Dr Guimond.

En 1990, le premier ministre Brian Mulroney et son gouvernement conservateur ont tenté de restreindre le droit à l’avortement. Le projet de loi voulait que l’avortement ne soit permis que si la sécurité de la femme était en danger. Il a toutefois été bloqué par le Sénat.

*Métro a choisi de ne pas diffuser les photos de fœtus paraissant sur les dépliants.

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