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Rénovictions: vivre dans l’amiante à cause de travaux illégaux

La chambre dans les résidences de Concordia de Naim Ben Daoud, qui a été relogé par son propriétaire. / Josie Desmarais/Métro Photo: Josie Desmarais

Un Montréalais a été forcé de vivre dans des débris remplis d’amiante à la suite de travaux illégaux dans son logement, dans un autre cas de rénoviction. Naim Ben Daoud, 46 ans, accuse la Ville de nuire à sa santé par son inaction.

Le locataire vivait dans le même immeuble depuis 14 ans, situé à l’intersection des avenues Outremont et Beaumont. Son studio ne lui coûtait que 360 $ par mois, bien en deçà des standards pour le secteur de Parc-Extension. En février, la bâtisse passe aux mains du Groupe Hazout, une firme d’investissement immobilier.

Peu de temps après l’achat, le nouveau propriétaire aurait demandé aux 15 locataires sur place de quitter leur logement. Une compensation monétaire leur aurait été offerte. Comme moyen de pression, le gestionnaire n’aurait donné aucune indication aux locataires pour le paiement des loyers. «Si tu n’avais pas payé ton loyer depuis un certain temps, il te le reprochait pour te faire quitter», rapporte M. Ben Daoud en entrevue avec Métro.

Le 13 juillet, M. Ben Daoud aurait appelé son propriétaire en raison d’un problème de plomberie. On lui aurait indiqué que son immeuble avait été vendu, pour une deuxième fois cette année.

Cinq jours plus tard, il se fait réveiller par des travaux «assourdissants»: des nuages de poussière commencent à envahir l’immeuble. Les travaux commencent dès le début des vacances de la construction, ce qui mène M. Ben Daoud à croire que les entrepreneurs travaillent «au noir». Il appelle donc la Commission de la construction du Québec (CCQ) et la Ville de Montréal, demandant la venue d’un inspecteur. Ce n’est que le 26 juillet qu’un inspecteur de la Ville arrive sur place.

«Lors de l’inspection, le 26 juillet, les travaux étaient conformes au permis octroyé», explique la chargée des communications de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Rachel Vanier. «Il était possible pour le propriétaire de réaliser les travaux logement par logement ou étage par étage, en maintenant des résidents dans les logements qui n’étaient pas en travaux», ajoute-t-elle.

Les travaux effectués dans l’immeuble de Naim Ben Daoud – Gracieuseté

Ce n’est que le 28 juillet que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) intercepte les travaux. La Ville de Montréal réagit alors, et demande au propriétaire de cesser l’occupation du bâtiment dans un délai maximal de 48 heures, comme indiqué dans un document obtenu par Métro.

Dommages collatéraux

Mais le propriétaire a laissé les trois locataires qui n’avaient pas été évincés de leur logement sur place. Et devant la situation, la Ville ne lui a imposé aucune sanction.

«Un rapport sur les matériaux et les poussières dans l’air avait été exigé auparavant au propriétaire», admet Mme Verdier. «Puisque le rapport n’a pas été fourni à temps, un constat d’infraction lui a été délivré», ce qui l’a poussé à l’expédier. La présence d’amiante dans les murs de l’immeuble a alors été confirmée.

Le 18 août, la Santé publique s’en mêle: demeurer dans le bâtiment représente des risques significatifs, tranche-t-elle, dans un document obtenu par Métro. La Ville demande donc au propriétaire d’offrir un logement d’urgence aux locataires dans un délai de 24 heures.

Les travaux effectués dans l’immeuble de Naim Ben Daoud – Gracieuseté

C’est finalement la Croix-Rouge qui loge M. Ben Daoud pendant trois jours à l’hôtel, avant que son propriétaire ne lui offre un logement d’urgence dans les résidences d’une université du centre-ville. Sa chambre est minuscule, insalubre. Il lui est impossible d’ouvrir sa fenêtre.

Le propriétaire s’est entendu avec les résidences jusqu’au 30 août. Le locataire ignore où il sera relocalisé par la suite. «Je ne céderai pas, dit celui qui veut retrouver son appartement, lorsque les travaux seront terminés. Je suis stressé, frustré, mais je ne peux pas les laisser gagner.»

La chambre dans les résidences de Concordia de Naim Ben Daoud, qui a été relogé par le propriétaire. Beaucoup de saletés ont été laissées avant son arrivée, comme ici sous le lit. / Josie Desmarais/Métro

L’ajusteur-monteur dans une industrie pharmaceutique est en arrêt de travail. Le psychiatre de M. Ben Daoud a diagnostiqué chez ce dernier des épisodes de stress et de dépression liés à la situation de son logement. M. Ben Daoud éprouve aussi des douleurs à la poitrine, qu’il croit liées à la présence d’amiante dans son logement. Selon le ministère de la Santé, l’exposition à l’amiante cause un risque de cancer ou de maladie pulmonaire chronique. M. Ben Daoud a déposé une mise en demeure contre son propriétaire au Tribunal administratif du logement (TAL).

Actions préjudiciables

Détruire des murs contenant potentiellement de l’amiante est une stratégie de rénoviction fréquemment utilisée par les propriétaires pour faire fuir les locataires, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

Avec la vente de l’immeuble, le Groupe Hazout aurait engrangé des profits de 500 000 $. «C’est choquant, parce que c’est une entreprise qui fait ce type de manœuvre ailleurs Québec, comme à Granby ou en Montérégie. Ils achètent, s’assurent de l’éviction de locataires et vendent ensuite les immeubles, après avoir monté leur valeur», explique le porte-parole du RCLALQ Martin Blanchard.

Dans le cas de travaux illégaux, «la Ville a les outils pour agir, mais n’a pas pris action», dit-il. «La loi existe: elle permet aux villes et aux arrondissements de faire les travaux et de refiler la facture aux proprios. Malheureusement, la Ville privilégie une approche conciliante», dénonce M. Blanchard.

Mais M. Ben Daoud en veut aussi à la Ville de Montréal, qu’il considère poursuivre. En mai, la Ville accordait un permis au propriétaire pour la rénovation de 15 logements. Pourtant, trois locataires habitaient encore les lieux. Aucun suivi n’a été effectué par Montréal quant à leur relocalisation jusqu’à l’intervention de la CNESST et de la Santé publique.

Ni la Ville de Montréal ni le Groupe Hazout n’ont répondu aux demandes d’entrevue de Métro. Le nouveau propriétaire de l’immeuble, Jordan Assouline, a préféré ne pas commenter l’histoire. Les travaux dans son immeuble ont été suspendus, puisqu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences de la CNESST.

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