Mais que se passe-t-il à Montréal sans sida?
Près de cinq ans après sa création, l’initiative Montréal sans sida semble être au point mort. Le milieu communautaire attaque la Ville de Montréal pour son inaction, alors que cette dernière se défend, plaidant que des actions ont été ralenties par la pandémie. Certaines sources ayant approché Métro dénoncent par ailleurs un climat de tension au sein du comité, ce qui aurait poussé des membres à démissionner.
Le 1er décembre 2017, la mairesse de la Ville de Montréal, Valérie Plante, a signé la déclaration de Paris. Montréal est ainsi devenue la première ville canadienne à rejoindre le réseau des municipalités déterminées à éradiquer l’épidémie de sida d’ici 2030.
L’initiative Montréal sans sida qui en est née s’est dotée d’une coprésidence partagée entre la Ville de Montréal, la direction régionale de la santé publique et le milieu communautaire. Ce dernier est représenté par la Table des organismes montréalais de lutte contre le VIH/sida. Une année de consultations avec des professionnels de la santé et des membres des communautés vulnérables a permis d’élaborer un plan d’action présenté en 2018.
Or, depuis cinq ans, le projet semble s’être essoufflé; en témoigne son site qui n’a pas été mis à jour depuis des années.
À qui la faute?
Après cinq ans, de nombreux objectifs du plan d’action semblent ne pas avoir été atteints. Le milieu communautaire pointe du doigt la Ville, l’accusant de ne pas en faire assez. Il salue cependant l’implication et la collaboration de la santé publique depuis les débuts de l’initiative notamment avec la nomination de Dre Mylène Drouin à la tête de la DRSP.
La direction régionale de la santé publique a coordonné l’élaboration du plan d’action et a travaillé à augmenter l’accès au matériel de protection, d’injection sécuritaire et d’inhalation. Elle a aussi travaillé à améliorer les heures d’ouverture des centres de dépistage et a témoigné au fédéral contre la criminalisation de la non-divulgation du statut VIH.
Pour la coprésidente de Montréal sans sida représentant le milieu communautaire, Sandra Wesley, la Ville n’a pas tenu ses engagements, notamment en ce qui concerne la décriminalisation de la possession de drogue et du travail du sexe.
«On s’attendait à ce que, très rapidement après le lancement du plan d’action, il y ait des travaux qui commenceraient à la Ville […] et qu’ensemble on trouverait des solutions pour la non-application des lois criminelles sur les drogues et sur le travail du sexe, dit-elle. On a passé toute l’année 2019 à attendre que la Ville commence ces travaux et on s’était fait promettre que les comités allaient commencer au début 2020, ce qui n’a pas eu lieu.»
Selon elle, une des mesures à mettre en place serait que la Ville demande au SPVM de ne pas appliquer l’interprétation de la loi sur la criminalisation des drogues et du travail du sexe. Elle déplore des mesures inverses prises par l’administration Plante. Sandra Wesley souligne l’augmentation de la présence policière et un discours «carcéral et répressif» sur le plan politique à l’égard des communautés marginalisées qui sont plus à risque d’être infecté par le VIH.
C’est une chose de signer, mais si on signe, il faut que l’intention politique soit là, derrière. Il faut que la mairesse soit capable de défendre ces choses-là.
Sandra Wesley, coprésidente de Montréal sans sida et représentante du milieu communautaire
Un manque «d’implication politique»
Le directeur général de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-Sida) et membre du comité de coordination de Montréal sans sida, Ken Monteith, partage l’avis de Sandra Wesley à l’égard de la Ville. «Il y avait toujours un manque de continuité et d’implication politique de la part de la Ville.»
C’est le temps que certaines personnes arrêtent de mettre des bâtons dans les roues des groupes qui souhaitent aider les populations vulnérables. Criminaliser la possession simple de drogue, c’est mettre des bâtons dans les roues.
Ken Monteith, directeur général de la COCQ-SIDA et membre du comité de coordination de Montréal sans sida
Le journaliste Denis-Martin Chabot, lui-même atteint du VIH, a fait partie du comité consultatif de 2018 à 2020. Il a décidé de quitter l’initiative face à «l’inaction des autorités».
«J’ai beaucoup reproché à l’administration municipale de ne pas avoir de sérieux dans cette approche-là, dit-il. En tant que personne qui vit avec le VIH, je trouve que la situation est urgente et qu’il faut agir et je n’ai pas trouvé qu’il y avait une volonté [de la Ville], du moins elle ne s’exprimait pas lors de nos rencontres.»
Des échanges tendus et des démissions
Des sources préférant rester anonymes et ayant été impliquées dans les travaux de Montréal sans sida dénoncent quant à elles un climat de tension lors des échanges entre les membres de l’initiative. Certains d’entre eux auraient ainsi quitté le navire à cause de jugements de valeur venant du milieu communautaire et de propos déplacés. La judiciarisation des populations vulnérables aurait aussi pris une place prépondérante dans les discussions.
Questionnée par Métro, la Table des organismes montréalais de lutte contre le VIH/sida indique que quatre membres du comité de coordination ont démissionné entre novembre 2020 et mai 2021. Trois d’entre eux étaient des membres des communautés touchées par le VIH.
«Ils disent que la place laissée à leurs communautés s’est vue réduite à travers les années, notamment à la suite du départ de la personne à la coordination de l’initiative, explique le coordinateur général, Olivier Gauvin. Les raisons évoquées par la quatrième personne touchent aux travaux de l’initiative, qui n’étaient pas en phase avec l’expertise qu’iel pouvait amener à la table.»
Des actions posées par la Ville
Fin 2019, la Ville de Montréal déployait les ressources nécessaires pour une campagne de sensibilisation. Cette dernière a eu lieu pendant huit semaines et visait à déstigmatiser les personnes atteintes du VIH.
La responsable de l’inclusion sociale et de l’itinérance au comité exécutif de la Ville, Josefina Blanco, qui est impliquée dans l’initiative Montréal sans sida, comprend le milieu communautaire, mais défend les actions entreprises par la Ville depuis 2018.
«Est-ce qu’on a avancé et est-ce qu’on aurait pu faire tout ce qu’on aurait aimé, peut-être pas, et je comprends et j’entends les groupes communautaires. Maintenant, je pense qu’on peut continuer cette discussion et le travail, ensemble.»
Josefina Blanco mentionne la création en 2021 du projet pilote de l’équipe d’intervention ÉMIS. Cette dernière vise à limiter l’intervention des policiers auprès des personnes vulnérables quand celle-ci n’est pas nécessaire.
En janvier 2021, la Ville de Montréal a aussi déposé une motion non partisane pour exhorter Ottawa à décriminaliser la possession simple de drogue pour usage personnel. Présentement, elle travaille à l’élaboration d’une stratégie montréalaise de réduction des méfaits, mais aucun échéancier n’est encore disponible.
L’impact de la pandémie
La responsable médicale qui était impliquée dans la coordination du volet santé publique, Sarah-Amélie Mercure, souligne l’impact considérable qu’a eu la pandémie de COVID-19 sur les avancées de l’initiative.
«Ça a mis Montréal sans sida sur pause. On a tenté de garder le plus possible la mobilisation […], mais la direction régionale de la santé publique a eu des enjeux de capacités, car les ressources ont été mises dans la réponse à la pandémie de COVID-19.»
Selon Mme Blanco, la Ville a aussi pâti de la pandémie. Elle dit espérer que la crise sanitaire soit «dernière nous» pour pouvoir continuer les concertations au sein de Montréal sans sida.
Et maintenant?
Une rencontre du comité est prévue dans les prochaines semaines. La Ville aurait fait part de l’intention de la mairesse de signer les nouveaux objectifs d’ONU-SIDA pour 2025.
D’ici là, un des objectifs est que 90% des pays aient décriminalisé entièrement les drogues, le travail du sexe, l’homosexualité et la non-divulgation du statut VIH.
«On s’attend, si la mairesse continue dans le projet et signe cette déclaration-là et ces objectifs-là, à ce qu’elle soit prête à mettre l’énergie politique dernière et donc qu’elle cesse des actions qui sont incohérentes avec ces objectifs, dit Sandra Wesley. Si elle n’est pas prête à s’engager, il faut faire une déclaration publique comme quoi la lutte contre le VIH n’est pas une priorité pour elle […] et qu’elle va continuer dans une approche carcérale.»