Montréal, une ville où coulent encore trop de dollars
À Montréal, un tiers de l’eau traitée dans les usines de filtration est gaspillée. Fuites d’eau dans le réseau d’aqueducs ou robinets coulant sans fin, chaque goutte perdue représente un coût pour la Ville et, par ricochet, pour les contribuables. Les chiffres les plus récents de la Ville de Montréal montrent qu’environ 140 millions de mètres cubes d’eau sont gaspillés chaque année.
Chaque jour, ce sont près de 720 litres d’eau par personne qui sont produits à Montréal. La consommation en eau se divise principalement en deux secteurs: le résidentiel et les industries, commerces et institutions (ICI). Le résidentiel représente plus de la moitié (62%) de la consommation totale d’eau potable à Montréal, tandis que les ICI en consomment le tiers (33%). Le reste (5%) concerne la consommation municipale hors bâtiment.
En matière de consommation résidentielle, les Montréalais dépassent la moyenne canadienne. Les dernières données, issues du bilan de l’usage de l’eau potable de 2021, montrent qu’un Montréalais consomme en moyenne 327 litres chaque jour, alors qu’un Canadien en consomme en moyenne 215 litres.
Malheureusement, une partie de l’eau est gaspillée, bien qu’elle ait été traitée en amont dans une usine de traitement, à un coût de 3$ pour 1000 litres. Pour les 140 millions de mètres cubes d’eau gaspillés annuellement, ce serait donc près de 406 M$ qui sont dépensés en traitement de l’eau pour rien.
Un sol montréalais qui boit de l’eau potable
Un des plus gros défis de la Ville de Montréal demeure son réseau d’aqueducs. Pour chaque fuite, ce sont des milliers de litres d’eau qui finissent dans le sol.
En 2021, l’administration Plante a renouvelé près de 30 km de conduites principales et secondaires dans son réseau. Pour la directrice générale d’Eau Secours, Rébecca Pétrin, le travail que fait la Ville va dans la bonne direction, mais ces travaux doivent se poursuivre et plus d’investissements sont nécessaires pour la récupération et l’utilisation de l’eau de pluie.
«Ce sont d’énormes pertes complètement inutiles, car c’est de l’eau qui est traitée à l’usine d’eau potable qui se retrouve dans le sol, déplore la directrice générale d’Eau Secours. Les pratiques s’améliorent – c’est certain qu’on n’utilise plus l’eau comme on le faisait auparavant –, mais il faut continuer les efforts.»
Depuis 2019, l’indice de fuites des infrastructures (IFI) a été mis en place pour mesurer la performance des réseaux de la Ville. Certains secteurs de la métropole seraient plus touchés par les fuites que d’autres. En 2021, le bilan sur la consommation d’eau potable faisait état d’un IFI élevé pour le réseau de Pierrefonds et très élevé pour ceux de Lachine et Atwater–Charles-J.-Des Baillets.
Les usines de traitement des eaux ne sont pas épargnées par cette problématique. Certaines d’entre elles sont inscrites dans la classe D, ce qui signifie qu’elles présentent un «niveau de fuite très élevé».
Des mesures ponctuelles auraient montré qu’une partie significative des fuites se trouverait sur les branchements privés qui sont raccordés aux réseaux d’aqueduc à Montréal. Ce sont près de 10 000 litres qui sont déversés dans le sol pour chacune de ces fuites. La métropole compterait plus de 245 000 branchements privés.
Les installations municipales seraient aussi une source de gaspillage d’eau, notamment les fontaines décoratives, ce que dénonce l’élue responsable de l’eau à la Ville de Montréal et mairesse de Lachine, Maja Vodanovic.
Seulement dans son arrondissement, près de l’équivalent de 40 piscines olympiques est gaspillé annuellement par des fontaines décoratives encore raccordées à l’eau courante. Selon Mme Vodanovic, cette situation doit cesser et une modernisation des fontaines doit être envisagée.
Les données de la Ville de Montréal montrent que le taux de surconsommation et de pertes, qui s’élève actuellement à 30%, est le même qu’en 2015.
Des compteurs, mais pas pour tout le monde
Il reste difficile de mesurer avec précision la consommation d’eau des ménages, car un grand nombre d’entre eux ne possèdent pas de compteurs d’eau. Pour ce qui est des ICI, c’est une tout autre affaire.
Il aura fallu une dizaine d’années pour que la Ville de Montréal dote l’ensemble des ICI de compteurs d’eau, pour un total de 19 500 compteurs installés dans la métropole. Cette année, les industries et commerces recevront donc une facture à blanc avant que la tarification en fonction de leur consommation ne s’applique.
Pour Maja Vodanovic, il ne fait aucun doute que l’installation des compteurs va forcer les commerces et industries à économiser de l’eau.
L’installation systématique de compteurs d’eau pour le secteur résidentiel ne serait pas une solution pérenne pour forcer les ménages à revoir leur consommation. Selon Rébecca Pétrin, à l’échelle internationale, certaines des villes qui ont décidé d’emboîter le pas ont remarqué une reprise graduelle de la consommation d’eau des ménages.
Les deux premières années souvent on note une diminution de la consommation d’eau, mais à partir du moment où les familles entrent dans leur budget, leur consommation d’eau va revenir au niveau de base avant la tarification, dit-elle. Si on ne change pas dans les procédés où les électroménagers, les mauvaises habitudes reviennent.
Rébecca Pétrin, directrice générale de Eau Secours
Pour Rébecca Pétrin, la majorité des mesures d’économie de l’eau devraient se concentrer sur les ICI. Elle salue d’ailleurs le projet de loi annoncé il y a quelques semaines par Québec visant à augmenter considérablement le prix de l’eau pour les entreprises.
La directrice générale d’Eau Secours insiste tout de même sur l’importance de sensibiliser et d’éduquer la population quant à sa consommation d’eau. Selon elle, il faudrait subventionner le changement des pommeaux de douche ou des électroménagers trop anciens, ce qui aurait un effet plus important sur le long terme.
Depuis plusieurs années, un règlement interdit l’utilisation de systèmes d’air climatisé branchés à l’eau courante. Ces derniers gaspillent entre 2000 et 10 000 litres d’eau traitée par jour. Pour Maja Vodanovic, les sanctions doivent être plus sévèrement appliquées pour forcer l’installation de systèmes d’air climatisé à boucle fermée.
Quand ça coule, ça coûte
Selon Maja Vodanovic, 20% des maisons visitées par les équipes de la Ville de Montréal présenteraient des fuites d’eau visible. Pour une simple toilette qui fuit, ce sont 500 litres d’eau qui sont gaspillés. Pour chaque mètre cube d’eau gaspillé, ce sont plusieurs dollars qui sont dépensés inutilement.
«On ne charge pas chaque citoyen pour l’eau qu’il utilise, mais on le paye dans les taxes globales de la ville, donc si on gaspille, on gaspille aussi l’argent public», explique l’élue.
Avec sa Stratégie québécoise d’économie d’eau potable 2019-2025 (SQEEP), le gouvernement provincial se donne comme objectif de réduire de 20% la consommation en eau de la province pour arriver à la moyenne canadienne d’ici 2025.
Selon Maja Vodanovic, Québec doit augmenter les financements accordés aux villes afin qu’elles puissent assurer la gestion de leurs infrastructures et pour contrer la hausse des coûts des produits chimiques essentiels au traitement de l’eau. «Quand on parle de l’eau, ça n’intéresse pas beaucoup de gens, c’est comme quelque chose qui est caché, qui est sous terre et qui est pourtant tellement essentiel», ajoute Maja Vodanovic.