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Pourquoi ne parle-t-on pas plutôt «d’homicides routiers»?

Photo: Warchi, istock

Afin de souligner la responsabilité du conducteur derrière un accident de la route causant la mort, la France a créé la nouvelle appellation légale «homicide routier», qui remplacera «homicide involontaire causant la mort». L’objectif est de sous-entendre une plus grande part de responsabilité pour le conducteur fautif. Au Canada, le ministère de la Justice ne compte pas emboîter le pas. Une occasion manquée?

«Le Code criminel canadien contient un régime solide pour répondre à la conduite criminelle liée à la circulation lorsqu’un décès est causé», affirme la relationniste média du ministère de la Justice du Canada, Geneviève Groulx.

La liste exhaustive d’appellation qui décrit des crimes liés à des incidents routiers causant la mort au Canada est la suivante: conduite dangereuse causant la mort, conduite avec capacités affaiblies causant la mort, présence d’un taux interdit de drogues et/ou d’alcool dans le sang dans les deux heures précédant la conduite causant la mort, refus d’obtempérer à une demande valable de prélèvement d’échantillons corporels entraînant la mort, et fuite du lieu d’un accident entraînant la mort.

«Toutes ces infractions sont passibles d’une peine maximale d’emprisonnement à vie et constituent une forme d’homicide coupable. Ce domaine de la loi a fait l’objet d’une réforme importante en 2018 afin de moderniser et de simplifier les dispositions, d’augmenter certaines peines maximales et de créer de nouvelles infractions en réponse à la légalisation du cannabis», renchérit Mme Groulx pour insister sur la suffisance de l’encadrement lexico-légal des crimes routiers.

Toutefois, si ces crimes «constituent une forme d’homicide coupable», leurs appellations n’insistent pas nécessairement sur la responsabilité du conducteur, comme le fait l’expression française «homicide routier».

La portée sociale des appellations légales

Si la France a modifié l’appellation décrivant les crimes routiers impliquant la mort, ce n’est toutefois pas pour augmenter la répression. L’objectif, purement symbolique, vise plutôt à soutenir les victimes endeuillées en évitant de qualifier les comportements mortels des automobilistes d’«involontaires», alors que la conduite dangereuse, par exemple, se fait volontairement.

«Les mots de ne sont pas neutres, ça a toujours une incidence sur l’interprétation. Ce n’est pas anodin quand une institution décide de changer certains libellés, ça peut avoir un poids symbolique», décrit l’étudiante au doctorat en linguistique, Alexandra Dupuy.

Le monde juridique a ses propres codes linguistiques formant un langage surnommé le «legalese», lesquels peuvent se distinguer de ceux des langues populaires. Néanmoins, «le langage juridique n’est pas en vase clos, ça communique avec la communauté linguistique. Des fois, on voit une influence entre le langage juridique et la communauté, et l’inverse aussi», poursuit Alexandra Dupuy.

Il serait toutefois encore trop tôt pour déterminer si un changement d’appellation comme celui proposé par la France aura un impact réel. «On ne sait pas encore si ça va changer l’interprétation que les gens ont», souligne-t-Mme Dupuy. Pour le savoir, «il faudrait faire des études. Il se peut que des changements lexicaux entrainent une interprétation différente du crime que ça représente, mais pas nécessairement», soutient la linguiste.

Le cas des agressions sexuelles

L’histoire juridique canadienne comporte un cas de changement lexico-légal qui a une portée importante. La réforme du droit criminel canadien de 1983 semble avoir considéré la connotation des appellations légales des crimes qu’elle décrit. «Le projet de loi C-127 a permis de remplacer les articles au Code criminel relatifs au viol et à l’attentat à la pudeur par des articles de loi définissant trois différents niveaux d’agressions sexuelles selon la gravité», peut-on lire sur le site web du gouvernement du Canada.

Le changement lexical apporté au droit criminel classifie les crimes qui étaient de l’ordre de l’atteinte à la pudeur comme étant désormais de l’ordre de l’agression sexuelle. Une qualification à la connotation beaucoup plus grave.

«Ce n’était pas hors contextes qu’il y a eu des changements linguistiques. Des groupes militants féministes avaient lutté pour des changements linguistiques arrimés aux modifications juridiques», soulève Mme Dupuy. Encore une fois, difficile de mesurer l’ampleur de l’impact qu’a eu ce changement lexical.

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