Les ghettos
On a fait grand cas ces derniers jours d’un projet immobilier ciblant la communauté musulmane, qui a rapidement été qualifié de projet de ghetto. En voulant user de marketing auprès des musulmans, le comptable à l’origine du projet, Nabil Warda, aura plutôt réussi à agiter les habituels épouvantails identitaires.
En écoutant parler les politiciens, il pouvait même être possible de comprendre que le projet interdirait aux non-musulmans de faire l’acquisition d’une propriété dudit projet. Le promoteur a peut-être suggéré que les candidats propriétaires devraient respecter les valeurs de l’islam pour y accéder, mais sans préciser comment un tel critère pourrait être renforcé. Rappelons que la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse dans l’accès au logement est déjà illégale au Québec.
Dans les faits, certains critères d’accès à la propriété – comme celui pour les femmes de porter des manches longues et de se couvrir la tête pour assister aux réunions d’information – excluent d’emblée les non-musulmans du projet. Warda n’avait pourtant pas à se donner autant de trouble pour éloigner les mécréants:
quelques noms de rue arabes et une coquette intégration d’esthétique islamique pourrait suffire à effrayer ceux qui voient une menace aux valeurs québécoises dans le fait qu’une SAQ n’ait pas un assez gros arbre de Noël à l’approche du solstice d’hiver.
Mais toute cette attention portée à ce projet maladroit ne nous éloigne-t-elle pas de la réelle problématique d’accès au logement au Québec? Recevant Nabil Warda en entrevue, l’animateur du Téléjournal Patrice Roy affirmait que les musulmans étaient pourtant les bienvenus louer des logements et acheter des propriétés partout au Québec. Or, un reportage de sa collègue Marie-Ève Tremblay, diffusé quelques jours plus tôt sur le portail Corde Sensible, tendait à démontrer que le fait d’avoir un nom à sonorité arabe pouvait diminuer vos chances d’être invité à visiter un appartement. La discrimination dans l’accès au logement existe bel et bien au Québec, mais les Côté, Bouchard et Lavoie sont loin d’être ceux qui en souffrent le plus.
Par ailleurs, cette paille dans l’œil de la communauté musulmane, pour reprendre une métaphore bien chrétienne, ne nous empêche-t-elle pas de voir la poutre qui se trouve dans le nôtre? Les ghettos n’ont pas toujours besoin d’être nommés pour exister. Ils existent. Une clôture sépare toujours le quartier Parc-Extension – pauvre et multiethnique – de Ville Mont-Royal, où le prix médian d’une maison unifamiliale est près de quatre fois celui de la moyenne québécoise.
Au printemps dernier, des citoyens s’opposaient à un développement immobilier près des shops Angus, craignant que l’ajout de logements sociaux fasse perdre de la valeur à leur propriété. On n’a pas parlé de ghetto à ce moment-là, parce que la religion n’y était pas impliquée. Pourtant, ces contestations visaient à leur façon à ghettoïser une classe moyenne insécure, ce qui n’est pas beaucoup mieux que le fait que des membres d’une communauté stigmatisée aient envie de se doter d’un safe space immobilier.