La fracture française
Nul besoin d’en ajouter, on le sait tous. La victoire d’Emmanuel Macron à titre de président de la république française n’a rien d’excitant. Rien du tout. Pour certains, une certaine consécration du vide, parfois abyssal, qui semble coller au néophyte politicien. Pour d’autres, la poursuite d’un statut quo invivable, un François Hollande en plus jeune, la confirmation d’une victoire évidente pour l’establishment financier et économique. En bref, pour l’enthousiasme, on repassera.
Reste, cela dit, que le pire a été évité. Parce malgré toutes les critiques que peut s’attirer l’élection de Macron, celle de Marine Le Pen serait, pour sa part, apparentée à l’apocalypse sociétale. Flirtant toujours et encore, malgré certaines apparences, avec l’extrême-droite au sens pur, le Front national devait, coûte que coûte, être évité. Et il le fut. Mince prix de consolation? Ça dépend. Verre à moitié vide ou à moité plein? Stopper l’ascension au pouvoir d’un parti aux aspirations ouvertement racistes et xénophobes peut, nécessairement, être vu comme une nouvelle intéressante. Peu importe l’alternative. Mais bon. Au choix.
Cela étant, les anti-FN ou autres tenants d’une certaine pérennité élitiste commettraient une bourde fondamentale s’ils refusaient d’ingurgiter le message, ô limpide, de l’électorat français. En fait, et à moins d’être borgne ou encore parfaitement aveugle, la fracture sociétale semble indéniable. Une comparaison de la présente élection avec celle de 2002 se veut, à ce titre, plutôt probante. Un excellent article de France Culture offre ici un portait à la éclairant et inquiétant…
D’abord, la plus évidente des fractures : alors que les cadres, voire les membres de l’élite économique, politique et financière ont voté à 82% pour Macron, les électeurs exclus de cette même élite (chômeurs ou vivant dans la précarité) ont appuyé le Front national à 47%. Ils étaient, en 2002, 18%.
Autre fracture, générationnelle, celle-là. Ainsi, la génération des 35-49 ans a appuyé le parti de Le Pen à hauteur de 43%. Énorme, surtout si l’on considère que les 35-44 ans avaient, en 2002, soutenu ce même parti à 18%. Autre enjeu: cette même génération, la moins abstenue en 2002, l’a été de manière marquée hier. En fait, seuls les plus jeunes l’ont été encore davantage. Ça regarde bien.
Parlons-en, d’ailleurs, des abstentionnistes ou autres votes blancs. Ces derniers passent de 24% en 2002 à 36% en 2017. En bref, plus du tiers des électeurs français ont refusé d’accorder leur vote à l’un ou l’autre des candidats du deuxième tour. Pas rien, comme dirait l’autre.
Nul ne sera surpris, par voie de conséquence, d’apprendre que Marine a ainsi réussi à obtenir le meilleur score de l’histoire de son parti, soit 10,6 millions de votes. Pratiquement le double des voix récoltées par Jean-Marie 2002.
Morale de l’histoire? Une tonne, mais avec le même dénominateur commun: il se creuse, systématiquement, des écarts de plus en plus marqués entre la population et ses élites. Une frustration qui se transpose de plus en plus, d’années en années, en rébellion pure et simple. Un rejet total d’un establishment réel ou appréhendé. Pensons Trump. La solution? Pas simple. Mais une petite piste: le refus, pour les intellectuels, d’abandonner la démocratie. En occupant, pour seuls exemples, les forums médiatiques populaires. En bref, rejeter le mépris et poursuivre le dialogue, continuer la diffusion de la science, de l’information. Pas tant une option qu’une obligation, si vous me demandez mon avis…