Ottawa investit 1,3 milliard $ dans le REM
MONTRÉAL — Debout sur un quai de la gare centrale à Montréal à côté d’un train de banlieue stratégiquement positionné, le premier ministre Justin Trudeau a confirmé, jeudi matin, un engagement de 1,28 milliard $ de son gouvernement pour la réalisation du Réseau électrique métropolitain (REM), projet ferroviaire majeur dans la région de Montréal qui doit relier la ville aux banlieues et à l’aéroport international qui porte le nom de son père.
L’annonce a été faite en grande pompe par le premier ministre en compagnie de son homologue provincial, Philippe Couillard, du maire de Montréal, Denis Coderre, et de Michael Sabia, le patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui pilote ce projet par le biais de sa filiale CDPQ Infra.
M. Trudeau a indiqué que le projet de transport de 6 milliards $ s’inscrit dans la volonté d’Ottawa d’investir davantage dans le transport en commun afin, notamment, de réduire les gaz à effet de serre.
Voyant enfin le financement ficelé, Philippe Couillard avait du mal à contenir son enthousiasme, affirmant que le REM démontre «qu’il est encore possible, très possible maintenant, de réaliser des grands projets au Québec. L’époque où ces projets s’enlisaient de façon indéfinie est terminée.»
En janvier 2015, le gouvernement québécois et la Caisse de dépôt et placement du Québec avaient annoncé leur accord devant mener à la construction du REM.
Québec avait appelé Ottawa à injecter au moins un milliard de dollars dans le projet, dont la Caisse demeure le principal bailleur de fonds avec son investissement de plus de 3 milliards $.
Le maire Coderre s’est lui aussi réjoui de cette entente et de la collaboration qu’elle démontre, déplorant s’être souvent senti «pas mal seul» à Ottawa. Lui-même un ancien ministre libéral fédéral, Denis Coderre ne s’est pas gêné pour lancer une flèche — sans jamais le nommer — au précédent gouvernement de Stephen Harper.
«Maintenant, on a un gouvernement qui croit que les changements climatiques existent, qui croit à l’Accord de Paris et qui croit en l’investissement massif dans l’infrastructure (…) On dit souvent: tout seul on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin et c’est exactement ce que l’on vit aujourd’hui.»
Subvention ou investissement? À déterminer
L’appui fédéral au projet prendra initialement la forme d’une subvention par l’entremise de l’accord sur le financement des infrastructures avec Québec.
Par la suite, la demande de financement sera soumise à la future Banque de l’infrastructure, qui décidera si elle accepte d’assumer cet engagement ou non.
Si elle accepte, la subvention retournera dans l’enveloppe disponible pour le Québec en matière d’infrastructures. Si la Banque refuse d’assumer le financement, l’enveloppe de subvention fédérale sera réduite de 1,28 milliard $, mais le premier ministre Trudeau assure qu’une éventuelle ponction de 1,28 milliard $ ne grèvera pas l’enveloppe au point de bloquer d’autres projets.
«Même si la Banque d’infrastructure n’investit pas dans le projet de REM, il y aura encore assez d’argent (…) pour pouvoir livrer, par exemple, la ligne bleue (du métro de Montréal), pour livrer un grand projet de transport collectif pour la ville de Québec», a-t-il assuré.
La Banque de l’infrastructure vise à utiliser des fonds publics pour créer un effet de levier attirant des milliards de dollars supplémentaires issus d’investisseurs privés pour financer des projets d’envergure tels que des lignes ferroviaires, des ponts et des infrastructures de transport.
Le gouvernement Trudeau, quant à lui, s’est engagé à investir environ 186 milliards $ sur 11 ans dans les projets d’infrastructures à travers le pays.
«Les plus idiots de la classe»
La décision de la Caisse de ne pas exiger un minimum de contenu local dans le projet a toutefois continué de soulever la controverse.
Même si elles appuient le projet, les oppositions caquiste et péquiste à Québec ont à nouveau vertement dénoncé cette lacune.
«C’est comme si on était les plus idiots de la classe; les Américains le font, les Européens le font, les Chinois le font, mais nous, il ne faudrait pas le faire», s’est exclamé le chef péquiste, Jean-François Lisée.
Son vis-à-vis caquiste, François Legault, abondait dans le même sens: «Il y a une ombre qui plane (…) Je trouve ça incroyable qu’on refuse de se servir de ces investissements pour créer de la richesse.»
À Montréal, Philippe Couillard a rappelé qu’il y aurait d’abord 34 000 emplois directs et indirects requis pour la construction et, pour la suite, il s’est dit «très confiant» de voir un fort contenu local en dépit de l’absence d’obligation en ce sens: «Sur les 18 entreprises qui sont dans les différents consortiums (en concurrence pour décrocher le contrat), il y en a 14 qui sont soit des entreprises québécoises, soit des filiales canadiennes d’entreprises étrangères.»
Mais surtout, le premier ministre s’est campé derrière le principe de l’indépendance de la Caisse.
«À partir du moment où le gouverrnement se met les pattes dans les détails du projet, ce n’est plus le projet de la Caisse, ça devient le projet du gouvernement et moi, je veux que ça demeure le projet de la Caisse de dépôt.»
Contredit par Laurent Lessard
Michael Sabia, lui, est resté fermement campé sur la position qu’il défend depuis le début de ne pas exiger de contenu local «pour livrer ce projet très important au meilleur prix et au meilleur niveau de service pour les Montréalais et les Montréalaises», a-t-il soutenu, tout en reprenant à son compte l’argument voulant qu’avec 14 entreprises «locales» sur 18 soumissionnaires, les chances étaient plus qu’excellentes d’avoir ce contenu local de toute façon.
Curieusement, le ministre des Transports, Laurent Lessard, a contredit le premier ministre, affirmant qu’il aurait souhaité, lui, ce genre de mesure lorsqu’il a été interrogé à cet effet en Chambre.
«On aurait souhaité que la Caisse exige, selon les règles internationales, des contenus (locaux), a répondu M. Lessard. Ils ne l’ont pas fait. Puis, si on avait exigé de ce contenu-là, en fait, ça aurait contaminé ce que la Caisse est en train de faire et on nous aurait taxé d’enlever l’indépendance (de la Caisse).»
Le ministre a ensuite reproché à l’opposition de ne pas avoir proposé des amendements dans le projet de loi sur cet enjeu, pour qu’un seuil de contenu minimal soit imposé.
Or, Jean-François Lisée s’est empressé de rappeler en point de presse par la suite que son parti avant demandé au gouvernement Couillard d’imposer un critère de contenu local lorsqu’il a décidé de permettre la création de CDPQ Infra, mais que le ministre des Finances, Carlos Leitao «ne voulait pas».
Les critiques les plus acerbes sont toutefois venues du député de Québec solidaire, Amir Khadir, qui a dénoncé le projet dans son ensemble d’abord parce qu’il s’agit d’un partenariat public-privé soumis à des critères de rentabilité, ce qui impliquera, selon lui, des coûts trop élevés refilés soit aux usagers par une tarification excessive, soit à l’ensemble des contribuables.
Aussi, le député de Mercier n’aime pas la portée restreinte du projet: «C’est un très mauvais projet, mal conçu, alors qu’on pourrait penser à un investissement sur cinq ans pour desservir l’ensemble du territoire à la fois de Montréal, mais du Québec qui a besoin d’investissement pour des transports modernes, électriques, collectifs.»