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L’année difficile de la ministre Mélanie Joly

Minister of Canadian Heritage Melanie Joly stands during question period in the House of Commons on Parliament Hill in Ottawa on Monday, Nov. 27, 2017. THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick Photo: Sean Kilpatrick/La Presse canadienne

OTTAWA — L’année 2017 s’annonçait mémorable pour Mélanie Joly, maître d’oeuvre des festivités du 150e anniversaire de la fédération. Mémorable, cette année du cent cinquantenaire l’aura été pour la ministre du Patrimoine canadien — mais pas forcément pour les bonnes raisons, selon plusieurs.

La ministre Joly est sortie passablement amochée des derniers mois, qu’elle a passés à défendre des décisions controversées de son gouvernement. Le premier pépin est arrivé au printemps, alors que Justin Trudeau a désigné Madeleine Meilleur au poste de commissaire aux langues officielles.

L’opposition n’a pas digéré la nomination de la libérale de longue date, et pendant des jours, Mme Joly a été mitraillée de questions en Chambre. Il a fallu que Mme Meilleur se récuse, en juin, face à la perspective d’un blocage au Sénat, pour que la tempête politique se dissipe.

L’accalmie a été de courte durée. Moins de deux semaines après la rentrée parlementaire, à la fin septembre, la ministre dévoilait les contours de sa fameuse entente Netflix. Le plan a été accueilli par un concert de protestations de l’opposition à Ottawa et de l’Assemblée nationale à Québec.

Les milieux culturel et entrepreneurial québécois ont aussi descendu en flammes l’investissement de 500M$ sur cinq ans. La ministre a eu énormément de difficulté à justifier le fait qu’Ottawa n’exigeait aucun quota pour le contenu francophone et n’imposait pas la TPS au géant américain.

Pour couronner le tout, Mélanie Joly s’est de nouveau retrouvée sur la sellette, fin novembre, certains fustigeant l’installation, sur la pelouse du parlement, d’une patinoire de 5,6M$ qui devait initialement rester ouverte à peine un mois — sa durée de vie a finalement été prolongée.

Invitée à faire un bilan de son année 2017 avant de quitter pour la relâche des Fêtes, il y a environ deux semaines, la principale intéressée a offert, en guise de réponse, qu’«on apprend tous les jours en politique» lors d’une mêlée de presse avec les journalistes.

«C’est sûr que j’ai entendu beaucoup la préoccupation du secteur francophone, l’importance de protéger la culture, mais c’est notre objectif. On va avoir une grosse réforme à faire en 2018. On a beaucoup de travail qui nous attend», a ajouté Mme Joly.

«Décevant»

Le député conservateur Alain Rayes a été peu impressionné par la performance de son adversaire politique. «Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est « décevant » — décevant de voir une ministre du Québec aussi mal défendre les intérêts de la langue française», a-t-il tranché.

«On le voit dans le dossier de Netflix, particulièrement. Elle a commencé à dire « j’entends, j’entends », mais je pense qu’en arrière de ça, ce qu’on aurait aimé entendre, c’est « j’écoute »», a-t-il fait valoir en entrevue à La Presse canadienne.

Le lieutenant politique des conservateurs au Québec déplore qu’en dépit de son «poste-clé» à la table du cabinet, la ministre n’ait pas su faire «une réelle différence» et «jouer le rôle d’influence qu’elle devrait jouer», particulièrement pour «mettre en évidence la particularité du Québec».

Son collègue néo-démocrate Pierre Nantel partage la même lecture. «Actuellement, elle met la partisanerie libérale en avant de ses responsabilités ministérielles. C’est ça qui est pitoyable», a-t-il regretté à l’autre bout du fil.

Il estime que la ministre n’a pas «pris bonne note de l’unanimité au Québec sur les mesures à prendre (en matière culturelle)», faisant remarquer au passage qu’un autre dossier fait du surplace sous la houlette de la ministre montréalaise: celui de la crise des médias imprimés.

«J’ai le fédéralisme qui fatigue quand je vois Mélanie Joly entreprendre une réforme et arriver avec si peu de solutions», a-t-il lâché. Selon le député, il est «inévitable que tout le monde lui pitche des roches», car elle a «agi de façon inconvenable pour une ministre» responsable de la culture.

«En partie de sa faute»

En coulisses, des employés libéraux trouvent que la députée d’Ahuntsic-Cartierville a été victime d’un certain acharnement médiatique. Mais il s’en trouve peu pour dire qu’elle a défendu habilement l’entente Netflix, que ce soit au micro de Paul Arcand ou sur le plateau de Tout le monde en parle.

Le professeur Thierry Giasson estime que l’affaire Netflix a mis en relief les «limites» de la ministre — qui n’a pas su aller au-delà des «lignes» de communication et a semblé «prise dans son carcan communicationnel» — mais également celles de l’équipe stratégique gouvernementale.

«Ils n’ont peut-être pas vu, pas été capables d’anticiper le type de réaction que cette annonce de l’entente avec Netflix allait provoquer au Québec, a-t-il avancé. J’ai été surpris de voir qu’ils semblaient être surpris, dépassés, par le volume de réaction que l’annonce a généré au Québec.»

Le politologue David Moscrop a constaté que la couverture médiatique défavorable dépassait les frontières du Québec. Le boursier postdoctoral à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, estime que si Mme Joly a connu une année difficile, c’est «en partie de sa faute».

«Elle a été, à certains égards, une ministre inefficace, elle a pris des décisions discutables et elle a eu des problèmes à communiquer son message», a-t-il expliqué en entrevue téléphonique depuis Vancouver.

«En revanche, il se peut que le ministère du Patrimoine, dans sa structure actuelle, soit devenu inadéquat pour gérer les enjeux du 21e siècle — on ne parle plus seulement de culture et de patrimoine, mais aussi de tout ce qui est numérique», a-t-il nuancé.

Mais ultimement, les ministres sont responsables de la gestion de leur ministère. Mélanie Joly serait-elle sur un siège éjectable, vu ses déboires de 2017? «Je la verrais changer de portefeuille, pour atténuer tout futur dommage», a offert David Moscrop.

«Malheureusement pour elle, les dossiers avec lesquels elle a eu des problèmes, ceux qui sont critiques comme Netflix et les journaux imprimés, ne disparaîtront pas. Et dans la mesure où on l’associe négativement à ces enjeux, elle traînera un bagage de plus en plus lourd», a-t-il dit.

Ni Pierre Nantel ni Alain Rayes n’ont voulu spéculer sur l’avenir de Mélanie Joly au sein du cabinet.

«Si elle veut garder son poste, elle doit prendre parti pour son milieu. Elle n’est pas responsable des contribuables, elle n’est pas responsable des compagnies américaines. Elle est responsable des gens qui créent et font fructifier et fleurir notre patrimoine», a offert le premier.

Quant au second, il a suggéré à Mélanie Joly de «faire une introspection personnelle» et formulé le souhait de la voir revenir en janvier prochain «avec de réelles intentions de défendre le Québec, de défendre le patrimoine, et de faire son travail en toute honnêteté».

Thierry Giasson, pour sa part, ne la voit pas se faire dégommer.

«Avoir une jeune femme à la tête de la culture, du patrimoine, des communications, le bureau du premier ministre voit ça d’un bon oeil. Ils ont l’impression que ça renvoie une bonne image du gouvernement», a indiqué le professeur au département de science politique de l’Université Laval.

Le bureau de la ministre du Patrimoine canadien a décliné la demande d’entrevue de La Presse canadienne pour ce bilan de fin d’année.

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