Culture de cannabis: les libéraux gardent le cap
OTTAWA — Justin Trudeau avait clairement signalé qu’Ottawa n’entendait pas laisser le champ libre aux provinces qui veulent interdire la culture de cannabis à domicile. Son gouvernement l’a confirmé en rejetant l’amendement du Sénat qui visait à reconnaître ce droit, mercredi.
En dépit des objections répétées du gouvernement de Philippe Couillard, celui de Justin Trudeau persiste et signe: faire pousser un nombre limité de plants de cannabis à la maison sera légal dès lors que la substance le sera.
Mais encore faut-il que le projet de loi C-45 soit adopté — le Sénat et les Communes doivent approuver le même texte. Et afin de s’en assurer, le premier ministre a lancé une mise en garde à l’intention du chef des troupes conservatrices.
«Ça fait des mois que Andrew Scheer demande à ses sénateurs conservateurs, qu’il contrôle encore dans son caucus, de bloquer la volonté de la Chambre des communes, d’une promesse électorale d’un gouvernement élu», a-t-il reproché mercredi matin.
«Je pense qu’il est temps qu’il arrête de jouer à de la politique avec la sécurité des gens», a poursuivi le premier ministre lors d’une brève mêlée de presse, avant de s’engouffrer dans la salle où était réuni son caucus.
Le chef conservateur lui a renvoyé la balle: «le gouvernement a une majorité tant à la Chambre des communes qu’au Sénat. Il contrôle l’échéancier dans les deux chambres. Ce gouvernement est à 100 pour cent responsable de tout délai», a-t-il lancé en mêlée de presse.
Le leader de l’opposition à la chambre haute, Larry Smith, a rejeté l’accusation du revers de la main. «Nous sommes conscients de ce que ce parti veut avoir, mais nous ne sommes pas dirigés par eux autres», a-t-il dit aux journalistes dans le foyer du Sénat.
Le sénateur conservateur Claude Carignan a lui aussi nié, ce qu’il a fait en y allant d’une boutade: «C’est complètement faux. Je pense que M. Trudeau a passé trop de temps avec (Donald) Trump ces derniers jours; il est parti sur des « fake news »», a-t-il lancé en entrevue.
Le Sénat devrait recevoir officiellement mercredi ou jeudi la réponse gouvernementale aux amendements adoptés la semaine passée. Il y en avait au total une quarantaine, dont plusieurs de nature technique, en plus de celui sur la culture de plants de cannabis à domicile.
Cette question est devenue un point de litige entre Ottawa et Québec, et la querelle promet de se retrouver devant les tribunaux, car il fait peu de doute que la loi québécoise sera contestée. Le fédéral a souvent signalé que ce serait sa loi qui aurait alors préséance.
La ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, s’est toutefois défendue de pratiquer un fédéralisme centralisateur et a soutenu que le gouvernement du Québec «comprend» la position fédérale.
«Ce n’est absolument pas la guerre qu’on fait au Québec et au Sénat. Notre position est une position bien réfléchie», a-t-elle argué en point de presse dans le foyer des Communes, mercredi matin.
Elle a souligné que les provinces pouvaient restreindre, par exemple à un seul, le nombre de plants qu’il est permis de faire pousser à la maison. «C’est absolument leur choix», a indiqué la ministre Petitpas Taylor.
Le projet de loi fédéral est cohérent en ce sens que les Canadiens peuvent cultiver du tabac, ainsi que faire leur vin ou leur bière à la maison, a-t-elle argué. «Nous sommes d’avis que les Canadiens pourront cultiver en toute sécurité un petit nombre de plantes», a dit la ministre.
Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh partage l’avis des libéraux sur le plan de la compétence législative. «Tous les enjeux criminels, c’est clairement de juridiction fédérale, c’est clair», a-t-il offert, mentionnant qu’il est «d’accord avec la culture à domicile».
Des débats estivaux au Sénat?
Avec ce refus gouvernemental, c’est la première manche d’une partie de ping-pong législative qui vient de s’amorcer. Le gouvernement a maintes fois signifié qu’il voulait faire adopter C-45 avant que les députés ne rentrent dans leurs terres. En théorie, ils plient bagage le 22 juin.
Mais selon ce qu’on entendait dans les couloirs du Sénat, mercredi après-midi, les chances que les vacances des parlementaires soient reportées sont plutôt minces.
La sénatrice Raymonde Saint-Germain, du Groupe des sénateurs indépendants, voit dans la volonté fédérale «un non-respect de la compétence des provinces» confirmant «l’importance pour un sénateur indépendant d’assumer sa responsabilité d’aller jusqu’au bout».
Les membres du GSI vont «demander les clarifications», mais «cela étant, ultimement, le gouvernement est responsable. C’est quand même une politique publique (…) qui était dans la plateforme électorale» et «ce sera à la population de juger».
Le sénateur Smith, de son côté, a évoqué la fatigue des troupes. «Nous avons bien travaillé sur cette législation, et les gens sont fatigués. Ils sont fatigués un peu», a-t-il fait valoir. Il se demande également si les sénateurs chercheront à pousser le gouvernement dans les cordes.
Le sénateur André Pratte, qui s’était rangé dans le camp de Québec, n’a pas encore achevé sa réflexion et se demande si l’enjeu de la culture du cannabis «justifie» un blocage qui créerait «une crise entre deux institutions pour laquelle il n’existe pas de solution réelle».
Il se questionne aussi sur l’impact que ce bras de fer aurait sur la cote de la chambre haute: «Il se peut que les Canadiens, notamment les Québécois, s’attendent à ce que le Sénat se batte pour cette question-là, et que si le Sénat se bat, ça rehausse la crédibilité du Sénat».
L’Assemblée nationale a adopté mardi le projet de loi 157 sur l’encadrement du cannabis — une mesure législative en vertu de laquelle il sera interdit de cultiver du cannabis à la maison. Le projet de loi fédéral, lui, permet d’en faire pousser un maximum de quatre plants.
Même si tout se passe sans anicroche au Sénat, le pot ne sera pas légal avant la fin de l’été ou le début de l’automne, car les provinces et territoires mettront huit à 12 semaines pour mettre en place leurs régimes de vente et de distribution.
Promotion: autre amendement rejeté
Le gouvernement a par ailleurs refusé «respectueusement» l’amendement de la sénatrice conservatrice Judith Seidman, qui visait à interdire l’utilisation d’éléments visuels reliés au cannabis sur des articles promotionnels — chandails, casquettes, etc.— qui ne sont pas du cannabis ou des accessoires de cannabis.
Dans l’avis de motion publié au feuilleton, on plaide que la Loi sur le cannabis «comprend déjà un ensemble complet de restrictions en ce qui a trait à la promotion».