Un équilibre
J’ai quitté la forêt boréale une semaine, histoire d’aller faire un petit tour en France. À part manger des quantités astronomiques de fromage et me faire écraser dans le métro à l’heure de pointe, je participe au huitième Congrès international des recherches féministes dans la francophonie, qui se déroule à l’Université Paris- Nanterre. Un événement d’assez grande envergure avec un léger programme de 300 pages.
J’y ai été invitée dans le cadre du colloque Résistances des femmes autochtones dans les Amériques pour m’exprimer aux côtés de chercheuses et d’autres femmes issues des Premières Nations. J’ai parlé de concepts que vous commencez probablement à maîtriser si vous me lisez régulièrement, mais aussi des raisons pour lesquelles les femmes de nos communautés adhèrent difficilement à l’étiquette féministe. Je suis féministe dans la mesure où c’est un débat qu’on m’impose; ma place en tant que femme dans les cercles traditionnels est honorée et respectée, donc pas besoin de rappeler aux autres que j’ai des droits. C’est acquis.
Traduire du français à l’eeyou iyimun certains concepts qui viennent d’ailleurs comporte ses risques. Par exemple, pour traduire «féminisme», on devrait inventer un mot qui correspond à la vision nord-américaine de ce qu’est l’émancipation des femmes et des rôles de celles-ci. Pour cette raison, nos communautés – à ce que je sache – n’ont pas encore senti le besoin de le faire. Parler de «féminisme autochtone» vient aussi un peu «invisibiliser» le fait que la situation actuelle des femmes autochtones au Canada est un résultat de la colonisation. Ma nation était autrefois une société égalitaire.
Les féminismes au Québec sont pluriels, mais bon nombre d’entre eux excluent les femmes issues des Premières Nations par la non-reconnaissance des violences que nous sommes plus à risque de subir. À Montréal, nos vigiles pour les femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada attirent moins de gens que la Women’s March pour dénoncer les politiques de Trump. Vous comprendrez que, pour nous, il est difficile d’adhérer à un féminisme qui vient nier le facteur colonial.
Les féminismes au Québec sont pluriels, mais bon nombre d’entre eux excluent les femmes issues des Premières Nations par la non-reconnaissance des violences que nous sommes plus à risque à risque de subir.
Comme l’expliquait Tania Larivière, nous avons besoin d’un certain équilibre dans nos communautés et nos cercles traditionnels. Les hommes sont aussi présents aux rassemblements de femmes pour observer et vice-versa, ce qui ne plairait pas à certains milieux féministes que je fréquente parfois. Nous croyons aussi en la justice réparatrice, car une communauté a besoin de chaque individu pour fonctionner.
Étant survivante d’abus, j’ai été guérir de mes traumatismes dans une cérémonie à laquelle des hommes qui ont déjà commis des agressions sexuelles prenaient part. Ces hommes ont demandé pardon et ont fait les efforts nécessaires pour se guérir eux aussi. Beaucoup d’hommes autochtones ont été violés dans les pensionnats et ont ensuite répété le mal. Ce n’est pas une méthode pour échapper aux conséquences; il faut évidemment plus qu’un «je m’excuse» pour que ces hommes réintègrent complètement nos cercles. Je sais que ça peut en froisser plusieurs, mais nos visions ancestrales de justice sont différentes.
Bien sûr, je suis quand même proche de certains milieux féministes et tout cela n’est pas pour invalider les luttes des autres, mais seulement pour dire de faire attention de ne pas imposer ses étiquettes à celles qui se définissent déjà elles-mêmes.