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Traverser le Canada à reculons en sautant sur un pied

Beautiful young runners in colorful sunny autumn forest taking selfie with smartphone on selfie stick Photo: Getty Images/iStockphoto

Le dépassement de soi, c’est à la mode. La phrase «Repoussez vos limites!» est utilisée à toutes les sauces pour nous vendre à peu près n’importe quoi, allant d’un entraînement au gym à un nouveau parc d’attractions à des conférences de croissance personnelle. Le dépassement de soi, de ce que j’en comprends, c’est le fait de se donner des défis et de les relever, ou encore d’essayer de nouvelles choses auxquelles on n’est pas du tout habitué, ça nous fait évoluer et ça nous procure un sentiment de fierté et d’accomplissement. Jusqu’ici, tout est très logique.

Mais il me semble que le dépassement de soi est devenu un spectacle, et c’est là que je commence à me questionner. À la base, c’est un processus individuel, quelque chose qu’on décide de faire pour soi (ça le dit dans «dépassement de SOI», tsé) pour se sentir mieux dans sa peau, pas pour impressionner les autres. Ces derniers temps, j’ai développé une réelle écoeurantite de tous ces défis auxquels les médias donnent trop souvent d’attention: Un homme de telle ville va traverser les États-Unis à pied en deux mois, un couple de tel endroit part au Mexique aller-retour en vélo tandem, une femme va faire l’ascension et la descente de telle montagne 20 fois consécutives… Et à chaque fois je me dis: who cares? Moi, si je décide de traverser le Canada à reculons en sautant sur un pied, j’écœurerai personne avec ça!

Bien souvent, les gens qui accomplissent ce genre de défis se donnent bonne conscience en les transformant en levée de fonds pour un organisme quelconque. Ils se partent un Gofundme, contactent les journaux, la télé et la radio (je travaille en radio, vous n’avez pas idée du nombre de courriels de ce type qui atterrissent dans ma boîte de réception) en espérant avoir une couverture médiatique, puis demandent au public des les commanditer «pour une bonne cause». Mais au final, l’argent que Monsieur et Madame Tout-le-monde versent à cette personne paye d’abord son voyage – parce qu’un défi qui dure 3 mois à travers l’Amérique du Nord, ça coûte cher! – puis ce qu’il en reste va à la bonne cause. Alors, qu’est-ce qu’on finance vraiment quand on encourage ce genre de défi? Un organisme qui vient en aide aux enfants malades ou un adulte en quête de spotlight qui veut mettre en scène son dépassement de soi?

Je suis peut-être trop pessimiste, mais je doute que la volonté d’aider un organisme et de faire une différence dans la communauté soit la motivation première de ces grandes traversées ou de ces grandes montées. J’ai plutôt l’impression que c’est ce qui vient après, quand on veut réussir à faire parler de soi et de son fameux défi. Ça paraît toujours mieux quand c’est pour une bonne cause, non?

À mon avis, le dépassement de soi, c’est préparer un repas de A à Z quand on est poche en cuisine. C’est partir une journée en bateau avec des amis quand on a peur de l’eau. C’est rouler sans itinéraire en vacances quand on est un peu control freak. Ce sont les petites choses qu’on essaye et qui nous font évoluer, sans qu’on ait besoin de le crier au monde entier. Et si on veut faire du bien autour de nous, commençons par notre famille, nos collègues, nos voisins. Allons donner du temps directement à l’organisme qui vient en aide aux enfants malades… pas besoin de partir traverser le Canada à reculons en sautant sur un pied.

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