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«C’est la pire erreur des sondages au Québec», dit une spécialiste

Coalition Avenir du Quebec leader Francois Legault celebrates with his wife, Isabelle Brais, and their sons, Francois, left, and Xavier, right, while watching the results Monday, October 1, 2018 in Quebec City, Que.THE CANADIAN PRESS/Ryan Remiorz Photo: Ryan Remiorz/La Presse canadienne

Les sondages annonçaient la Coalition avenir Québec aux alentours des 30% à égalité avec les libéraux. Finalement, le parti de François Legault a récolté 37,4% des suffrages et les libéraux, 24,8%. C’est un lendemain difficile pour les sondeurs, qui sont tous passés à côté de la vague caquiste.

Pour y voir plus clair, Métro a interrogé Claire Durand, spécialiste de la méthodologie des sondages et professeure au département de sociologie à l’Université de Montréal, pour comprendre comment les prévisions ont pu se tromper à ce point.

À quel point les sondages se sont-ils trompés en vue des résultats de lundi soir?
Gravement. C’est la pire erreur des sondages au Québec depuis qu’ils existent. Ils avaient prévu un écart de trois points entre la CAQ et les libéraux. Finalement, on a eu un écart de 13 points. C’est une erreur importante, mais ce type d’erreur est souvent arrivé, et elle n’arrive pas plus qu’avant. Ça a toujours été l’occasion de revoir les méthodes et de les améliorer, c’est le bon côté des choses.

Comment expliquez-vous cette erreur?
C’est assez difficile à expliquer, ce n’est même pas une question de méthodologie puisqu’en fin de campagne, tout le monde avait les mêmes résultats avec des méthodologies différents. Il peut y avoir un mouvement de dernière minute, mais ça n’explique pas autant l’écart. Il peut y avoir un électorat différent: les jeunes, par exemple, qui sont plus allés voter, mais encore une fois, ça n’explique pas l’écart. Le taux de participation non plus. Peut-être qu’il y a plusieurs phénomènes qui se sont empilés, mais encore là, c’est difficile de penser que ça explique un écart aussi grand. La réponse à cette question-là arrivera quand les sondeurs feront des analyses sérieuses. Ils vont revenir en disant qu’il y avait des biais ou des faiblesses.

Est-ce que ces sondages ont-il pu influencer le vote?
Il est très difficile pour les sondages d’influencer le vote. Si les sondages montrent deux partis à égalité, toutes les études menées là dessus ont conclu que c’était impossible qu’un sondage puisse influencer le vote. La vision qui dit que les sondages influenceraient les gens qui ne connaissent pas grand-chose et qui décident d’aller voter pour le gagnant, ça a été invalidé. Les gens qui regardent les sondages sont intéressés par la politique, ce sont des gens informés, plus partisans, qui changent moins d’allégeance politique et qui vont plus voter.

Les sondeurs aujourd’hui expliquent qu’il est impossible de prévoir une vague de votes massifs. Est-ce cela explique le décalage entre les chiffres et la réalité?
Quand on regarde l’ensemble des sondages, on voit qu’il y a un mouvement vers la CAQ, à la fin de la campagne, mais pas assez pour expliquer les résultats. La CAQ est en remontée, mais ça ne donne pas 38%, ça donne 34% maximum. Les sondages ont été faits jusqu’au dernier jour, il faudrait qu’il y ait eu un saut de 4 ou 5 points quand les gens dormaient entre dimanche et lundi, tout à coup, ils ont eu l’illumination de voter… Ce n’est pas possible.

En fin de compte, les sondages ne se trompent-ils pas toujours?
Non, le résultat des élections québécoises de 2014 a été anticipé par les sondages. Pour le Brexit et Trump, c’est plutôt les médias qui se sont trompés. Quand un sondage montre deux candidats à égalité, ça veut dire que ça pourrait être l’un ou l’autre. 8 des 13 sondages publiés aux États-Unis durant les deux dernières semaines montraient Trump et Clinton à égalité. Si les médias avaient bien fait leur travail, et avaient dit ce que les sondages voulaient vraiment dire, on n’aurait pas accusé les sondages.

Les sondeurs ont beaucoup évoqué un fort taux d’indécis parmi les répondants. Est-ce que ce sont eux qui ont voté pour la CAQ?
Les indécis, ce n’est pas fort non plus. Les indécis, on les appelle souvent les discrets, parce que souvent, ce sont plus des gens qui ne veulent pas révéler leur vote, plutôt que des gens qui ne sont pas certains du vote qu’ils vont faire. Puis, il aurait fallu que tous les gens incertains bougent tous dans la même direction, c’est un peu dur de penser que c’est ça qui est arrivé quand on voit qu’habituellement, les discrets sont plus favorables au Parti libéral. Ces mouvements vont expliquer 1, 2 ou 3% des intentions de vote, mais pas à un niveau qu’on voit ici.

Faut-il entamer une profonde remise en question de la méthodologie de sondage? Que faut-il changer?
Ça, on ne le sait pas encore. Il faut tirer l’affaire au clair pour voir si ça peut être un phénomène d’une élection, mais à ce moment, il faut être capable de prévoir quand ça pourrait se reproduire. Est-ce que l’électorat est différent? Est-ce que les jeunes ont voté? Y a-t-il eu un mouvement d’un parti vers un autre? Si on arrive à la conclusion que ces facteurs n’ont pas joué, il reste l’hypothèse de l’échantillon, qui doit alors être mieux fait.

C’est une occasion de se remettre en question et revérifier, revalider et améliorer les sondages. C’est l’occasion pour les médias de se questionner sur ce qu’ils font avec les sondages, est-ce qu’ils en parlent trop? De la bonne façon?

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