L’environnement au cœur de batailles judiciaires en 2019
En 2018, l’organisme ENvironnement JEUnesse a lancé une poursuite contre le gouvernement du Canada, qui ne tiendrait pas ses promesses climatiques, et un regroupement de 11 juristes envisage d’intenter une poursuite similaire en 2019. Métro fait le point avec Karine Péloffy, avocate spécialisée en droit du climat.
Recours en hausse
Si les recours judiciaires à teneur environnementale se multiplient, «c’est en raison de l’inaction ou du manque d’action de la plupart des gouvernements, qui ne mettent pas en place des lois et des mesures conformes à la science et à l’équité générationnelle», lance Me Péloffy.
Les poursuivants font face à deux défis: les cibles déterminées dans les accords environnementaux tels que Kyoto ou Paris ne sont pas obligatoires ou détaillées par pays, et la planète ne dispose pas de tribunal environnemental dédié, comme l’est par exemple le tribunal de La Haye, chargé de juger les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité. Cela limite les recours, car un plaignant ne peut poursuivre que son propre gouvernement.
En fait, ce sont les corporations qui lancent le plus de poursuites liées à l’environnement. «Mais cela peut se retourner contre elles», note l’avocate. Par exemple, la pétrolière ExxonMobil est accusée d’avoir minimisé l’impact de l’action contre les changements climatiques sur la valeur de ses actifs.
«Cette poursuite pour fraude, surtout si elle est confirmée par un jugement, pourrait avoir des répercussions au Canada, car la plainte reproche entre autres à la compagnie la survalorisation à long terme de ses actifs dans les sables bitumineux», indique Karine Péloffy, qui a œuvré comme directrice du Centre québécois du droit de l’environnement et dont les recours judiciaires ont indirectement contribué à l’abandon du projet Énergie Est.
Ailleurs dans le monde
La plus grande victoire populaire est jusqu’ici sans conteste celle de l’organisation écologiste néerlandaise Urgenda, qui veut forcer le gouvernement hollandais à adopter l’objectif plus ambitieux de réduction des gaz à effet de serre (GES) recommandé par le GIEC d’ici 2020.
«Le jugement initial rendu en 2016 a été confirmé en appel cette année et ira devant la Cour suprême», mentionne Me Péloffy. Selon elle, «cela confirme qu’il ne s’agit pas d’une poursuite farfelue et que les rapports du GIEC constituent une preuve béton». Elle ajoute que ces deux jugements confirment le fait que le respect du droit humain à la vie passe par le maintien d’un environnement stable.
Mais d’autres causes méritent d’être mentionnées, comme celle d’un agriculteur visant à forcer le Pakistan à prendre des mesures d’adaptation face aux changements climatiques. Aux États-Unis, il y a la cause de Juliana contre l’État fédéral, où 21 jeunes tentent d’attaquer depuis 2015 l’inaction gouvernementale qui porterait atteinte, selon eux, à leur droit futur à la vie, à la liberté et à la propriété. Et depuis un mois, c’est le gouvernement français qui fait face à une telle poursuite.
«Si on comptabilisait l’impact environnemental du pétrole canadien brûlé à l’étranger, ça doublerait le bilan des émissions de GES du Canada.» – Karine Péloffy, avocate spécialisée en droit du climat, expliquant que la contribution à la hausse de la pollution à l’échelle planétaire peut servir d’argument pour freiner des projets polluants
Plusieurs causes locales pourraient enrichir le domaine du contentieux environnemental. En Autriche, des citoyens ont invoqué la hausse des émissions de GES pour tenter de bloquer la construction d’un aéroport régional.
«Même si cela n’a pas été couronné de succès, les arguments avancés étaient intéressants, car la poursuite invoquait le fait que le futur aéroport, avec ses vols internationaux, contribuerait à la hausse de la pollution à l’échelle planétaire, indique Karine Péloffy. C’est exactement le genre d’arguments qu’on pourrait invoquer avec le pétrole canadien des sables bitumineux.»
Deux idées juridiques pour améliorer la protection de l’environnement:
- Reconnaître à des milieux naturels, comme le fleuve Saint-Laurent, une personnalité juridique. «Cela permettrait de faciliter les poursuites judiciaires en cas d’atteinte à son intégrité», mentionne Mme Péloffy. Elle s’étonne que des entreprises aient un tel statut, mais pas les milieux naturels les plus emblématiques.
- Enchâsser dans la Charte canadienne le droit inconditionnel à un environnement sain sans condition. Le Québec a intégré un tel droit, mais en a limité la portée en ajoutant la mention «dans la mesure où c’est prévu par la Loi».