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Affaire Boushie: des avocats inquiets des suites

Bill Graveland, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

CALGARY — Des spécialistes du système judiciaire sont inquiets de changements qui pourraient être apportés au Code criminel, dans la foulée de l’acquittement d’un homme ayant abattu un Autochtone.

Les principales modifications contenues dans un projet de loi fédéral, qui a été adopté en troisième lecture, concernent la récusation péremptoire au cours de la sélection du jury et l’utilisation des enquêtes préliminaires.

La récusation péremptoire permet aux avocats de destituer un juré potentiel sans donner de raisons.

L’avocat de Calgary Balfour Der, qui a travaillé à la fois comme procureur et avocat de la défense pendant 38 ans, estime que les changements proposés correspondent à une réaction instinctive du gouvernement, face à une controverse.

Un jury composé entièrement de Blancs avait acquitté un fermier de la Saskatchewan impliqué dans la mort d’un homme cri de 22 ans, en février dernier. Gerald Stanley avait abattu accidentellement Colten Boushie derrière la tête lorsqu’un groupe de jeunes autochtones s’était rendu sur sa ferme près de Biggar, en Saskatchewan, en août 2016.

De potentiels jurés issus des minorités visibles autochtones avaient été libérés lors de la sélection du jury.

«C’est la réaction d’un gouvernement pour satisfaire un groupe d’intérêt qui s’est plaint de cela», a déploré Balfour Der, lors d’une récente entrevue.

«On ne cherche pas seulement un jury formé de nos pairs, on cherche un jury impartial», a-t-il ajouté.

L’acquittement de Gerald Stanley avait suscité la controverse partout au pays. La famille de la victime, des experts et des politiciens ont affirmé que l’acquittement démontrait le problème du racisme systémique dans le système de justice et avaient appelé à modifier les pratiques, surtout dans la sélection du jury.

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, était d’accord. Selon elle, le retrait de la récusation péremptoire assure que les jurés seront plus représentatifs de la population. «Notre système de justice criminelle doit être juste et équitable pour tous les Canadiens», a déclaré Mme Wilson-Raybould à l’époque.

Des changements qui ne font pas l’unanimité

Selon le projet de loi, les avocats auraient toujours le droit de contester un juré potentiel, mais ce serait finalement au juge de décider.

Balfour Der, l’auteur d’un manuel sur les jurés, souligne que l’abolition de cette disposition signifierait qu’on pourrait «rester pris avec les premières 12 personnes qui disent être prêtes, ouvertes et aptes à être jurés».

«Je ne vois pas comment cela va amener plus de gens des Premières Nations sur les jurys», a-t-il soutenu.

Lisa Silver, une professeur de droit de l’Université de Calgary qui avait témoigné devant le comité parlementaire examinant la loi, croit que le verdict du procès Stanley est le résultat de plusieurs facteurs.

«Enlever la récusation péremptoire n’est pas la seule réponse, a-t-elle indiqué. Certains avocats de la défense suggèrent qu’ils ont utilisé la récusation péremptoire lorsqu’ils avaient un client autochtone et que cela les a avantagés.»

M. Der, Mme Silver et un autre avocat de la défense, Alan Hepner, proposent une autre solution, soit de changer la façon dont on choisit le bassin de potentiels jurés. La liste est élaborée en ce moment d’après l’inscription des électeurs, les permis de conduire ou les renouvellements de pièces d’identité.

«Les noms des Autochtones sont faciles à trouver. Ces noms sont évidents, alors trouvons des jurés qui sont leurs pairs», a indiqué M. Hepner.

Limites sur les enquêtes préliminaires

Le projet de loi restreindrait aussi les enquêtes préliminaires seulement dans les cas où les crimes sont passibles d’une peine d’emprisonnement à vie. Lors des enquêtes préliminaires, des audiences se tiennent pour déterminer s’il y a assez de preuves pour aller en procès.

Le gouvernement fédéral réagissait ainsi au fameux «arrêt Jordan» de la Cour suprême, rendu en 2016, qui limite les délais avant le début d’un procès. En vertu du jugement du plus haut tribunal du pays, le délai maximal d’un procès — du dépôt des accusations à sa conclusion — est fixé à 18 mois pour les dossiers devant les cours provinciales et à 30 mois pour les dossiers devant les cours supérieures ou nécessitant la tenue d’enquêtes préliminaires.

Selon Mme Silver, les enquêtes préliminaires permettent aux avocats d’évaluer la force d’un dossier et peuvent mener à des plaidoyers de culpabilité rapides.

«L’enquête préliminaire était le bouclier législatif contre le pouvoir de l’État», a-t-elle expliqué.

Et ces audiences ne prennent pas beaucoup de temps, selon M. Der.

«Les enquêtes préliminaires ne causent pas de retards. Elles pourraient même accélérer le procès, car les deux parties ont la possibilité de voir les témoins, d’entendre les témoins, de savoir ce qu’est un problème, et ce qui n’est pas un problème», a-t-il conclu.

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