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Le public doit faire confiance aux cours: Wagner

OTTAWA – Pour éviter des dérapages sur la place publique et l’incompréhension de la population avec des verdicts comme celui du cardiologue Guy Turcotte, il est essentiel que le système de justice soit bien expliqué aux citoyens. Car s’ils ne font plus confiance aux tribunaux, c’est le début de la fin de la démocratie, affirme le nouveau juge québécois à la Cour suprême du Canada, Richard Wagner.

Au moment où Guy Turcotte était de retour devant la Commission d’examen des troubles mentaux — le cardiologue a été reconnu non criminellement responsable pour le meurtre en 2009 de ses deux enfants — le juge Wagner a eu cette mise en garde pour ceux qui rapportent et commentent l’actualité judiciaire. Si la justice est critiquée sans être expliquée correctement, sa crédibilité risque d’être minée, croit-il.

Une responsabilité d’éducation qui incombe à tous: aux avocats comme aux médias et aux gouvernements, a affirmé le juge Wagner en entrevue avec La Presse Canadienne, dans l’enceinte même du plus haut tribunal du pays.

Le juge dit se désoler depuis des années du fait que les gens puissent perdre confiance envers le système de justice. Qui est pourtant «excellent» selon lui, «et qui fonctionne».

Une perte de confiance qui pourrait mener à l’existence d’une «justice parallèle», qu’il ne voudrait surtout pas voir au Canada.

«Au Québec, les dossiers en litige diminuent d’année en année et il y a une raison pour cela. J’espère que ce n’est pas parce que les gens ne croient plus au système de justice, parce que si c’est cela la conclusion, c’est le début de la fin. Parce que quand les gens vont arrêter de se présenter devant les tribunaux, ça va être une justice parallèle et c’est notre démocratie qui est en jeu», a-t-il déclaré, calme, mais les sourcils froncés.

«Ça parait très gros comme mots, mais c’est très réel. Ce n’est pas une fiction, ça se crée au fur et à mesure, petit à petit, ce sont des attitudes qui se créent et se perpétuent et qui peuvent amener des résultats très désagréables pour une société au niveau de sa démocratie. Alors l’accès à la justice, c’est très important».

Pour lui, la crédibilité des tribunaux est malmenée entre autres par la place toujours plus grande qu’occupe l’actualité judiciaire dans les médias et le fait qu’en plus d’être rapportés, les jugements sont commentés, tout comme les juges qui les rendent. «Et le juge, c’est le système judiciaire», souligne-t-il.

«Je pense qu’il faut se rappeler qu’on peut gagner ou qu’on peut perdre des dossiers mais on a intérêt à ne pas diminuer la crédibilité du système de justice. Des fois, je remarque qu’il peut y avoir un dérapage. Et ce genre de dérapage-là, au fur et à mesure, avec les années, ça peut créer dans l’esprit de certaines personnes, un manque de crédibilité du système de justice».

«Et ça c’est dangereux », prévient-il.

Richard Wagner croit que la perte de confiance vient peut-être du fait que ceux qui doivent appuyer le système ne le font pas. Parce que la qualité de la justice au pays — son indépendance et son impartialité — est possiblement tenue pour acquise, avance en guise d’explication celui qui a d’abord siégé à la Cour supérieure et à la Cour d’appel du Québec.

Il croit que dans le cas de Guy Turcotte — dont le verdict a mené à des manifestations de citoyens outrés un peu partout au Québec — il aurait fallu expliquer comment et pourquoi une telle décision est rendue. Et rappeler l’existence d’un mécanisme d’appel qui permet de renverser les jugements, un filet de sécurité pour la justice. La Cour d’appel va d’ailleurs bientôt se pencher sur le dossier.

Avec l’information complète, «je pense qu’ils (les Québécois) auraient accepté effectivement, non pas le résultat, mais auraient accepté que ça puisse être rendu comme cela».

Ils auraient ainsi peut-être été moins outrés du verdict, a-t-il ajouté. «Mais je ne veux pas dire que c’était mal fondé de l’être», ajoute-t-il du même souffle.

Guy Turcotte a été libéré de l’Institut psychiatrique Philippe-Pinel avec certaines conditions mercredi. L’entrevue avait cependant été accordée par le juge Wagner quelques jours plus tôt, et il n’a évidemment formulé aucun commentaire sur cette libération.

Le nouveau juge de la Cour suprême ne croit toutefois pas que les juges devraient justifier en public leurs décisions, ni participer à des émissions de type talk-show. Mais ils pourraient expliquer les rouages du système, a suggéré le juge, sur un ton aussi feutré que la salle de lecture de la Cour suprême où il se trouvait.

«Expliquer aux citoyens comment ça fonctionne, c’est en fonction de l’évolution de la société et des valeurs. On ne vit pas en vase clos, on évolue avec la société».

En poste à la Cour suprême depuis un peu plus d’un mois, le juge Wagner a réaffirmé haut et fort l’importance de l’indépendance et de l’impartialité du système judiciaire.

Il a toutefois évité de se prononcer sur l’utilité d’exiger que les juges de la Cour suprême soient bilingues ou encore sur l’ajout par le gouvernement Harper de peines minimales pour un plus grand nombre de crimes. Ce qui restreint pourtant la marge de manoeuvre des tribunaux et, dans une certaine mesure, leur indépendance. Pas un mot non plus sur l’équilibre de juges homme-femme à la Cour suprême, la seule critique qui a accueilli sa nomination, mais qui ne lui était pas destinée.

Habile comme un vieux renard, le juge a prudemment écarté ces questions hautement politiques même si, une fois nommé, il est indélogeable de la Cour.

Ayant récemment déclaré que le «politique ne doit pas s’ingérer dans le judiciaire et que le judiciaire ne doit pas s’immiscer dans la chose politique», il a rétorqué en riant qu’il ne voulait pas être le premier à briser les principes qu’il prêche. Surtout que la contestation des peines minimales risque de se retrouver devant lui, en Cour suprême.

«On ne peut pas avoir son gâteau et le manger», a-t-il lancé.

Quant à la surveillance exercée sur les décisions de la Cour par des politiciens qui pourraient être outrés de voir invalidées les lois qu’ils ont adoptées, le juge Wagner n’en a que faire.

«Ce n’est aucune considération dans ma décision, c’est ça qui fait la beauté de notre système».

Les jugements rendus par la Cour le sont selon la conscience des juges et la preuve soumise. Le politique n’a qu’à ensuite agir en conséquence, a-t-il tranché.

C’est aussi au nom de cette crédibilité que M. Wagner dit s’être prêté à l’entrevue. Pour faire connaître le système qu’il représente et pour aider un peu à «démystifier le juge».

Il s’est excusé de ne pas avoir pu répondre à toutes les questions, soit celles de nature politique «même si j’ai des opinions sur toutes vos questions», a-t-il dit en concluant l’entrevue avec un sourire bienveillant, mais entendu.

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