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La vie sans filtre

Sylvain Ménard

C’était par un beau matin. Raymond B., un pompier retraité qui avait maintenant plein de temps à consacrer à l’observation de l’être humain moyen, lâcha une bombe qui résonne encore fort dans mes souvenirs: «Moé, les sentiments du monde, chu pu capable! Demande-toé pas pourquoi y’a des psychologues à chaque coin de rue, calvaire! L’monde est en train de r’virer fou avec leurs crisses d’émotions…»

Il y a des phrases comme ça qui ne s’oublient pas.

Sauf que maintenant, après des années à «garder tout en dedans», les gens affichent une nette tendance à confier à tout un chacun ce qui va de travers dans leur vie.

Que ce soit leurs troubles d’anxiété, leurs parents mal-aimants, les épisodes de dépression à répétition, les dépendances aux drogues et aux chips BBQ, tout est maintenant susceptible de se ramasser sur la place publique.

L’heure est au déshabillage intégral, sans pudeur ni retenue. Existe-t-il encore une personne qui ne soit pas un brin TDAH autour de vous? Probablement pas…

L’heure est au déshabillage intégral, sans pudeur ni retenue.

Confidence élargie

Ce phénomène de la confidence élargie (!) a de quoi fasciner. Pourquoi ressent-on maintenant le besoin impératif de se livrer ainsi, de tout raconter? Ce qui se dit comme ce qui ne se dit pas? Pour faire grimper le niveau de conscience du peuple? Pour faire tomber des cloisons? Pour que tout le monde se sente moins seul, pris dans son coin? Par conviction que le sujet intéresse forcément tout le monde et son prochain?

Ou serait-ce plutôt par simple besoin de susciter l’empathie? Pour être pris en pitié? Pour éviter de se faire rentrer dedans? Comme si, avant de sortir de la maison, on enfilait une armure à double épaisseur sur laquelle on avait inscrit: fessez-moi pas dessus, je suis déjà à terre. Fascinant, que je vous dis…

Loin de moi l’idée de juger ceux et celles qui racontent leur vie dans les moindres détails, ça demeure leur affaire. Mais que se passera-t-il quand on se sera tout raconté? Quand il n’y aura plus de secrets entre nous? J’imagine qu’on sera pris pour en inventer d’autres.

En passant, saviez-vous que l’annulaire de ma main droite est plus court que celui de ma main gauche? Tout cela à cause d’une porte refermée trop vite par ma sœur quand j’avais cinq ans. Ajoutez à cela que, depuis ce jour, j’ai développé une phobie des portes et que ça n’a plus jamais été pareil avec ma sœur… Voilà, vous savez tout maintenant.

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Harvey Weinstein a finalement été condamné à 23 ans de prison. Ce qu’il est convenu d’appeler une lourde peine, considérant le mécanisme des circonstances atténuantes que l’on applique habituellement dans nos cours de justice nord-américaines.

Y’a de quoi se réjouir en considérant cette sentence. Parce qu’elle correspond à ce qui s’est passé et non pas aux éléments qui n’ont absolument rien à voir avec les méfaits commis (l’âge de l’accusé, son état de santé, sa famille qui s’effondre, sa carrière anéantie et tutti quanti).

On dira ce qu’on voudra, 23 ans, c’est bien peu quand on pense aux crimes pour lesquels il a été trouvé coupable. Au cinéma, il est plutôt rare qu’un film de monstre finisse bien…

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Extrait de ma chronique du 27 février dernier: «Peu importe le verdict que le juge rendra éventuellement, on sait déjà une chose: Éric Salvail ne comprendra pas. Ça ne sera pas la première fois.» Aujourd’hui, je me permets de modifier ma finale: «Ça ne sera pas la première fois. Ni la dernière…»

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