Agressions sexuelles: les mises en demeure comme outil de peur
La vague de dénonciations d’agressions sexuelles de cet été a connu un certain ressac, avec l’envoi de nombreuses mises en demeure de la part des personnes visées. Les agresseurs allégués menacent souvent de poursuivre les dénonciatrices en diffamation afin de les faire taire, mais rares sont les cas qui mènent réellement à une poursuite.
En effet, l’envoi de mises en demeure, que ce soit pour des dénonciations d’agressions sexuelles ou non, se fait souvent dans l’espoir de convaincre quelqu’un de cesser quelque chose, selon la professeure au département de juridique à l’UQAM, Rachel Chagnon.
Le coup d’une poursuite judiciaire est exorbitant pour le commun des mortels. «Donc c’est souvent un bluff», affirme-t-elle.
D’ailleurs, durant la vague de dénonciations de cet été, plusieurs personnes en ont envoyé pour faire peur, explique l’avocat Michaël Lessard.
«Souvent, ça va avoir cet effet délétère et venir faire taire la discussion publique, mais c’est rare que ça aille à procès», ajoute-t-il.
Cependant, il est difficile de quantifier le phénomène puisque la quantité de mises en demeure n’est pas publique.
À qui le fardeau de la preuve?
Les poursuites en diffamation dans le cas de violences sexuelles sont aussi rares puisque le demandeur doit témoigner devant la Cour.
En effet, au civil, l’agresseur allégué a le fardeau de la preuve. Il doit donc démontrer qu’il y a eu diffamation. Pour ce faire, il y a plusieurs possibilités.
Dans un premier scénario, il faut démontrer que l’information qui circule est fausse et que la personne le savait. Dans le deuxième scénario, il faut démontrer que l’information est fausse, que la personne ne le savait pas, mais qu’en usant de la diligence, elle aurait pu le savoir.
«En faisant ça, l’agresseur se soumet, dans un procès public, à encore plus de regards, souligne Michaël Lessard. Souvent, si le fait est vrai, ils ne prendront pas cette chance-là.»
Une autre avenue est de démontrer que l’information est vraie, mais qu’elle ne relevait pas du domaine public. «Dans tous les cas, ça vous expose à des contre-interrogatoires difficiles», pense Rachel Chagnon.
Dénoncer pour protéger?
Cet été, plusieurs dénonciatrices ont déclaré qu’elles désiraient protéger les autres personnes de leur agresseur.
Or, la validité de cette justification-là peut changer d’un dossier à l’autre, prévient la directrice générale de JuriPop, Sophie Gagnon.
«Une dénonciation qui concerne un coach sportif qui abuse systématiquement ses élèves, c’est clair qu’il y a un intérêt à la protection, émet-elle. Si, au contraire, on parle de quelqu’un qui vit dans son sous-sol et qui ne parle à personne, on pourrait se demander si c’était vraiment ça l’intention, si c’était vraiment nécessaire.»
De plus, les tribunaux n’ont encore jamais tranché sur cette manière de faire, précise Michaël Lessard. Il y a d’ailleurs peu de jurisprudence qui vient établir ce que l’intérêt public justifie ou non.
«Pas de risque zéro»
C’est pour cette raison que Sophie Gagnon estime que le risque zéro n’existe pas.
«Comme avocat, on ne peut pas garantir à quelqu’un qu’il ne sera jamais poursuivi, dit-elle. Notre rôle c’est de l’accompagner, de l’aider à comprendre les risques, des fois on peut rédiger des réponses pour les personnes.»
Mme Gagnon encourage donc les personnes qui font face à ces situations à utiliser les services de JuriPop. Elles pourront parler à un avocat gratuitement.
«Ça fait partie des services qu’on a rendus cet été. On écoutait la personne qui nous expliquait sa situation. Quand elle avait reçu une lettre de mise en demeure, on l’analysait ensemble et on faisait une analyse de risque.»