Quelle place devrait occuper l’identité trans dans le mouvement féministe au Québec?
La question se pose alors qu’un organisme subventionné par le gouvernement a signé la «Déclaration des Droits des Femmes fondés sur le sexe biologique» il y a un an.
La déclaration, signée à ce jour par 300 organisations et plus de 14 400 signataires individuels de 127 pays à travers le monde, nie l’identité de genre et s’oppose à plusieurs droits acquis des personnes trans.
«Les états devraient veiller à maintenir le sexe biologique, et non l’identité de genre, comme catégorie fondamentale pour ce qui a trait au droit des femmes et des filles à ne pas subir de discrimination», peut-on y lire notamment.
En effet, les signataires estiment que l’inclusion des femmes trans dans la catégorie femme dans la loi, les politiques gouvernementales et les pratiques constitue une discrimination à l’égard des femmes en nuisant à la reconnaissance des droits des femmes fondés sur le sexe biologique.
Cette position est souvent défendue par des féministes radicales trans-exclusion, un terme inventé en 2008 par des militantes trans.
PDF Québec signataire
L’organisme Pour les droits des femmes, mieux connu sous le nom PDF Québec, est un des signataires de la déclaration.
Ses positions sont souvent mises en opposition à celle d’un autre organisme féministe, la Fédération des femmes du Québec (FFQ).
L’analyste politique et ancienne mairesse de Longueuil Caroline St-Hilaire a d’ailleurs «renié» la FFQ en partie parce qu’elle s’oppose au discours voulant que «les femmes ne sont plus juste un genre». À l’époque, la FFQ était présidée par une femme trans.
PDF Québec estime, par exemple, que les femmes trans ne devraient pouvoir utiliser les mêmes toilettes que les femmes cisgenres ou compétitionner contre elles dans un même sport.
Mais selon l’organisme, la déclaration n’a rien de transphobe. «On peut protéger les droits des personnes transgenres sans pour autant mettre en péril le droit des femmes à l’équité et à leur sécurité dans le sport, dans les prisons et dans les espaces protégés pour leur intimité, et dans les programmes qui leur sont destinés», indique une porte-parole.
Une déclaration transphobe, selon certains
Cette vision n’est pas partagée par la militante et doctorante en droit et en bioéthique à l’Université de Toronto Florence Ashley qui explique que nier l’identité de genre est un aspect très caractéristique de la transphobie.
Les droits auxquels s’opposent la déclaration sont des droits acquis, mais surtout «nécessaires au bien-être et à la saine participation en société civile des personnes trans», pense-t-ille.
Selon le directeur général de l’organisme Aide aux trans du Québec, Julien Leroux-Richardson, les personnes ayant écrit la déclaration mélangent trois définitions: le sexe assigné à la naissance, l’identité de genre et l’orientation sexuelle.
«Ces trois définitions sont complètement différentes et elles n’influent pas l’une envers l’autre», explique-t-il en soulignant que la déclaration n’est basée sur aucune étude scientifique ni sur des données médicales reconnues.
Droits des femmes mis en péril
De leur côté, les membres de PDF Québec disent avoir réalisé que le droit des femmes risquait de s’éroder si les administrations et les paliers gouvernementaux substituaient, dans les textes de loi, le terme «genre» au mot «sexe».
Comme le mentionne la déclaration, l’organisme pense que le concept d’identité de genre «transforme les stéréotypes socialement construits, qui organisent et maintiennent les inégalités qui pèsent sur les femmes, en caractères innés et naturels, mettant ainsi en danger les droits des femmes.»
Par exemple, c’est en raison de leur différences physiologiques liées à leur sexe que les femmes ont besoin que les activités sportives ne soient pas mixtes, écrit une représentante PDF Québec.
De même, si à l’intérieur des programmes réservées aux femmes des places sont occupées par des personnes trans, les objectifs du programme ne sont plus atteints et les femmes voient leur contribution au pouvoir diminuer. «Leurs besoins passent sous le tapis comme ça été le cas avant la mise en œuvre de ces programmes», ajoute-t-elle.
Aucune preuve du danger
Toutefois, Florence Ashley et Julien Leroux- Richardson soutiennent qu’il n’y a aucune preuve du danger des femmes trans pour les femmes cis.
«Concernant la protection des femmes cisgenres dans des espaces tels que les salles de bains ou vestiaires si des femmes trans utilisent ces espaces, il n’y a rien qui démontre que les personnes trans ont agressées les personnes cis dans ces endroits», explique M. Leroux-Richardson.
En fait, il fait remarquer que si on inscrit dans le moteur de recherche Google les termes «agression transgenre», les dix premières pages générées sont des articles portant sur les agressions dont ont été victimes des personnes trans et non-binaires par des personnes cisgenres.
Concernant les activités sportives, Julien Leroux-Richardson indique que la prise d’hormone amène une perte de la force musculaire ainsi que de la masse musculaire pour les femmes trans. «Ce qui les rend au même niveau que les femmes cisgenres», émet-il.
La FFQ condamne aussi le contenu de la déclaration dont les propos «sont non seulement discriminatoires et violents mais également oppressifs envers les femmes trans», indique une porte-parole, Emmanuelle Botton. «Cette proposition invisibilise totalement les réalités de la diversité des genres, des enjeux portés par les communautés LGBTQ+ et par les femmes trans depuis des années», fait-elle savoir.
*Ce texte a été mis à jour le 22 avril 2021. La version originale de l’article portait le titre «Peut-on accepter un féminisme transphobe au Québec?». La réplique de PDF Québec se trouve ici.